La vie sur la Côte après la mort d’un amant
En janvier 1949, le célèbre pilote automobile JeanPierre Wimille se tue sur un circuit argentin. Marié, il était aussi l’amant et premier amour de Juliette avant ses débuts de chanteuse. Il ne saura jamais qu’elle attendait un enfant de lui. L’histoire se terminera par une fausse couche. En mai, elle rencontrera Miles Davis à Paris... Autre idylle fugace. Et c’est sur la Côte d'Azur, et plus particulièrement à Saint-Tropez, découvert en 1945 et objet de son dernier livre imagé en 2013, que Juliette Gréco retrouvera le goût de vivre.
Comme en hibernation
« Je travaille, sors peu. Comme en hibernation, je laisse passer les jours, les semaines et les mois qui m'aideront à retrouver des forces. L'été suivant, je chante à Antibes, puis, retrouve mes amis à Saint-Tropez [...] Dès l'été 1945, je pars y retrouver Boris Vian, qui a une minuscule maison de pêcheur. (...) Quelques stars américaines sont attirées par la fête : Greta Garbo, Clark Gable, Tyrone Power, que peu de temps après je rencontrerai à Mexico ! (...) En 1955, j'y retrouverai Françoise Sagan à
l’hôtel de la Ponche », écritelle dans ses Mémoires de 2012, Je suis faite comme ça.
« Millions dans la gorge »
Été 1949, Juliette passe un mois à Antibes. Elle chante chaque soir à Antipolis, annexe du Vieux-Colombier de
Paris tenu par un ami. « Toutes les petites filles riches se sont habillées à la mode Gréco cet été-là… La Côte d'Azur est uniformément vêtue de pantalons noirs, coiffée avec des franges, les cheveux lisses et longs, libres, les yeux maquillés charbonneux… Et moi je fais mes débuts. [...] Le matin, je m'éclipse, à la découverte de l'arrière-pays. Je porte ce jour-là mon dévolu sur le village de Saint-Paul-de-Vence.
[...] Alors que je m'engage dans un sentier, avec l'envie de m'égarer un peu dans la campagne, un homme m'interpelle :"Tiens ! C'est toi,
Gréco ?"Je me retourne et reconnais immédiatement notre poète : Jacques Prévert. "Oui,
Monsieur", lui dis-je poliment."Je t'offre un café à la « maison, viens avec moi ! » [...] Le bonheur d'être là, avec lui, est indicible. Peu de temps après, je chanterai Les enfants qui s'aiment, À la belle étoile, La Belle vie, Je suis comme je suis, et tant d'autres
merveilles. »
Les chansons perdues de Sartre
L'été suivant, elle rencontre Jean-Paul Sartre à Antibes qui lui offre deux chansons :
Ne faites pas suer le marin et La Perle de Passy .« Dans des circonstances que j'ignore, les deux chansons ont été perdues », racontait Gréco sans s’appesantir. Pas rancunier, Sartre déclarera peu après « Gréco a des millions dans la gorge, des millions de poèmes qui ne sont pas encore écrits. [...] C’est grâce à elle, et pour voir mes mots devenir pierres précieuses, que j’ai écrit des chansons. Il est vrai qu’elle ne les chante pas, mais il suffit pour avoir droit à ma gratitude, qu’elle chante les chansons des autres ».
Ce texte m’a servi de passeport. Pour toute la vie », concluait Gréco.