Ils condamnent l’assassinat mais débattent de la laïcité
Ils ont entre 18 et 27 ans, condamnent unanimement l’assassinat mais ont des divergences sur la façon dont il faudrait, ou non, traiter de la laïcité, des religions et de l’affaire Charlie au lycée Ces propos échangés dans la rue, à proximité de la fac de droit, à Nice, n’ont pas valeur de sondage et ne prétendent pas refléter une quelconque universalité de la pensée. Mais ils témoignent d’un hiatus entre des positions tranchées sur la laïcité au lycée. C’est, par exemple, Marc (prénom d’emprunt), un grand Black « chrétien » originaire du Ghana, qui se destine à la profession d’avocat. On le croise à la sortie du campus Trotabas en compagnie de Karima, musulmane au look de « garçon manqué ». Tous deux ont grandi en région parisienne, « sans sectarisme » puisque la couleur ou la confession, selon eux, n’a jamais été une question à l’école. Ce débat, ce serait « celui des médias ». Où ils incluent Twitter, s’appuyant sur les propos de Gérald
Darmanin, relayés à l’envi, pour reprocher à l’État de montrer du doigt une communauté. « Pourquoi la viande kasher, ça ne choque personne alors que les rayons halal, ça dérange ? », lance Marc qui, en filigrane, se demande pourquoi « Dieudonné est interdit de télé et pas Zemmour », alors que les deux ont été condamnés.
« Ne pas en parler »
« Chrétien », il insiste, Marc le martèle : « Si l’école est laïque, alors on ne devrait pas y parler de religion, pas du tout. » Même sous l’angle de l’histoire puisque, estime-t-il, « c’est aussi une façon de discriminer. » Tous deux condamnent fermement l’assassinat de l’enseignant. « C’est scandaleux. Aberrant. Affreux. Je suis très triste et je n’ai pas envie que les Français fassent d’un cas isolé et inexcusable, une généralité », dit Marc. Karima : « J’ai été choquée. On ne peut pas être musulman et tuer. On a le droit de ne pas être d’accord avec un prof : dans ce cas, on débat, on échange. » Elle reconnaît à Samuel Paty la légitimité du cours et de la méthode. Mais s’interroge sur la nécessité. Marc aussi : «Ilyades sujets dont il vaut mieux ne pas parler. Pourquoi remuer le couteau dans la plaie ? »
« Personne à l’abri »
Un peu plus loin, trois jeunes filles. « Ma mère est musulmane et mon père est chrétien », dit Kadiatou, d’origine sénégalaise. Pour elle, montrer la Une de Charlie, c’est possible : « Cela fait partie de la liberté de l’expression et quand même, ce n’est pas un drame. » Sarah, qui a ses racines à Madagascar, renchérit : « Nous sommes dans un pays où la laïcité est une règle, un principe. » Cindy, née à Nice, veut rappeler que «ceprofa fait son métier, sans faute ni arrière-pensée ». Qu’un député tunisien ait pu justifier ce crime sur Facebook l’a outrée. Enfin Thomas, 18 ans, en prépa. « Personne n’était préparé à ça », souligne l’étudiant qui se souvient de l’enseignement moral et civique (EMC) au lycée Estienned’Orves : « Quelle que soit la confession, tout le monde était d’accord pour dire que la liberté d’expression, en France, c’est un droit fondamental. » Ce débat, il l’a eu en famille, dès l’annonce de cet acte terroriste. Ce qui ne l’empêche pas de ressentir un climat d’insécurité. « Même les profs, payés pour aborder ces sujets, ne sont plus à l’abri. Personne n’est protégé, un fou sorti d’on ne sait où peut venir tuer. » L’hommage national était « une bonne chose » ,une manière d’envoyer « un message ». Pour dire que « tout le pays soutient Samuel Paty ».