Var-Matin (Grand Toulon)

Ils condamnent l’assassinat mais débattent de la laïcité

- FRANCK LECLERC

Ils ont entre 18 et 27 ans, condamnent unanimemen­t l’assassinat mais ont des divergence­s sur la façon dont il faudrait, ou non, traiter de la laïcité, des religions et de l’affaire Charlie au lycée Ces propos échangés dans la rue, à proximité de la fac de droit, à Nice, n’ont pas valeur de sondage et ne prétendent pas refléter une quelconque universali­té de la pensée. Mais ils témoignent d’un hiatus entre des positions tranchées sur la laïcité au lycée. C’est, par exemple, Marc (prénom d’emprunt), un grand Black « chrétien » originaire du Ghana, qui se destine à la profession d’avocat. On le croise à la sortie du campus Trotabas en compagnie de Karima, musulmane au look de « garçon manqué ». Tous deux ont grandi en région parisienne, « sans sectarisme » puisque la couleur ou la confession, selon eux, n’a jamais été une question à l’école. Ce débat, ce serait « celui des médias ». Où ils incluent Twitter, s’appuyant sur les propos de Gérald

Darmanin, relayés à l’envi, pour reprocher à l’État de montrer du doigt une communauté. « Pourquoi la viande kasher, ça ne choque personne alors que les rayons halal, ça dérange ? », lance Marc qui, en filigrane, se demande pourquoi « Dieudonné est interdit de télé et pas Zemmour », alors que les deux ont été condamnés.

« Ne pas en parler »

« Chrétien », il insiste, Marc le martèle : « Si l’école est laïque, alors on ne devrait pas y parler de religion, pas du tout. » Même sous l’angle de l’histoire puisque, estime-t-il, « c’est aussi une façon de discrimine­r. » Tous deux condamnent fermement l’assassinat de l’enseignant. « C’est scandaleux. Aberrant. Affreux. Je suis très triste et je n’ai pas envie que les Français fassent d’un cas isolé et inexcusabl­e, une généralité », dit Marc. Karima : « J’ai été choquée. On ne peut pas être musulman et tuer. On a le droit de ne pas être d’accord avec un prof : dans ce cas, on débat, on échange. » Elle reconnaît à Samuel Paty la légitimité du cours et de la méthode. Mais s’interroge sur la nécessité. Marc aussi : «Ilyades sujets dont il vaut mieux ne pas parler. Pourquoi remuer le couteau dans la plaie ? »

« Personne à l’abri »

Un peu plus loin, trois jeunes filles. « Ma mère est musulmane et mon père est chrétien », dit Kadiatou, d’origine sénégalais­e. Pour elle, montrer la Une de Charlie, c’est possible : « Cela fait partie de la liberté de l’expression et quand même, ce n’est pas un drame. » Sarah, qui a ses racines à Madagascar, renchérit : « Nous sommes dans un pays où la laïcité est une règle, un principe. » Cindy, née à Nice, veut rappeler que «ceprofa fait son métier, sans faute ni arrière-pensée ». Qu’un député tunisien ait pu justifier ce crime sur Facebook l’a outrée. Enfin Thomas, 18 ans, en prépa. « Personne n’était préparé à ça », souligne l’étudiant qui se souvient de l’enseigneme­nt moral et civique (EMC) au lycée Estienned’Orves : « Quelle que soit la confession, tout le monde était d’accord pour dire que la liberté d’expression, en France, c’est un droit fondamenta­l. » Ce débat, il l’a eu en famille, dès l’annonce de cet acte terroriste. Ce qui ne l’empêche pas de ressentir un climat d’insécurité. « Même les profs, payés pour aborder ces sujets, ne sont plus à l’abri. Personne n’est protégé, un fou sorti d’on ne sait où peut venir tuer. » L’hommage national était « une bonne chose » ,une manière d’envoyer « un message ». Pour dire que « tout le pays soutient Samuel Paty ».

 ?? (Photo Cyril Dodergny) ?? « On a le droit de ne pas être d’accord. Dans ce cas, on débat », rappelle Karima.
(Photo Cyril Dodergny) « On a le droit de ne pas être d’accord. Dans ce cas, on débat », rappelle Karima.

Newspapers in French

Newspapers from France