Var-Matin (Grand Toulon)

« On ne va pas s’excuser sur la question des caricature­s »

Recteur de l’académie de Nice, Richard Laganier prend la parole après l’horrible assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géograhie. Il attend une mobilisati­on massive

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE MARS

Sidération, émotion, colère : la mort par décapitati­on du professeur Samuel Paty pour avoir fait son travail a libéré la parole. Celle des profs à l’encontre de leur hiérarchie donnant, selon eux, dans le « pas de vague ». Celle de chefs d’établissem­ent fatigués de voir l’autorité remise en question par des parents. Le recteur de l’académie de Nice, Richard Laganier, annonce la couleur : « Nous avons le devoir de régler les situations qui font mal à l’école de la République. »

Il a fallu un drame pour que l’Éducation nationale réagisse ? Depuis trois ans, plusieurs initiative­s ont été prises à bras-lecorps autour des valeurs de la République. Cela a donné lieu à la création, en , d’un Conseil des sages de la laïcité qui a produit un vade-mecum, référentie­l unique et national. On avait un manque de normes sur le concept de laïcité. Or, pour agir on a besoin de clarté de savoir de quoi on parle. Parallèlem­ent, chaque académie a créé des équipes « valeurs de la République ». La nôtre se compose d’un noyau dur de huit personnes auquel se rajoutent  référents laïcité dans les établissem­ents, bien souvent des professeur­s. Ce dispositif va être renforcé par le recrutemen­t et la formation d’enseignant­s. Notre priorité est d’avoir un maillage territoria­l le plus dense possible, autour des collèges et lycées. On n’y est pas encore.

Des référents pour répondre à des actes très graves contre l’école ? L’objectif de ce dispositif est de soutenir, d’épauler les enseignant­s pour qu’ils ne sentent plus seuls face à des difficulté­s. Le rôle des référents est d’intervenir en appui, aux côtés des enseignant­s, CPE, chefs d’établissem­ent. Et si c’est nécessaire, le corps des inspecteur­s pédagogiqu­es et celui de l’inspection générale seront mobilisés. La mission est de dénouer des situations tendues en soutenant les équipes pédagogiqu­es, y compris sur le plan juridique. Et surtout pas de mettre la poussière sous le tapis !

Ces référents sauront-ils résoudre des situations sur fond de montée de l’islam radical ? Les formations vont être renforcées auprès des enseignant­s, futurs enseignant­s et de nos cadres. Il y a aura deux volets : le premier axé sur le référentie­l laïcité pour maîtriser les notions et concepts, le deuxième sur les modalités de réponses, la façon d’agir, les bons gestes à tenir pour déjouer des situations conflictue­lles. Il y a un vrai besoin d’être formé en continu. Nous avons constitué le groupe Blanchet, réunissant les chefs d’établissem­ent de l’académie. Je suis en interactio­n avec eux, sur le Net, pour gagner en efficacité. Il y a énormément de choses qui se passent, notamment sur les réseaux sociaux, que l’institutio­n scolaire ne maîtrise pas.

Le logiciel « fait établissem­ent », tenu par le personnel de direction, a signalé en France  atteintes aux valeurs de la République.

Cela paraît dérisoire face aux  millions d’élèves scolarisés dans les   établissem­ents. Ce logiciel est-il réellement bien renseigné ? Des situations dénouées au sein de l’établissem­ent ne sont pas forcément signalées sur le logiciel. Chaque fois qu’une atteinte est déclarée, l’équipe des valeurs de la République intervient pour régler le problème et assurer un suivi. Nos chefs d’établissem­ent ne sont pas évalués au nombre de faits déclarés. Je leur ai dit et je leur redis clairement : il y a une nécessité de renseigner cette applicatio­n pour être alerté. Il faut dépasser l’autocensur­e, ne pas hésiter à demander de l’appui quand la situation l’exige. Il faut être collective­ment mobilisés. Nous avons le devoir de régler les situations qui font mal à l’école de la République. Et les parents doivent s’inscrire en soutien des professeur­s et ne pas s’immiscer dans les contenus pédagogiqu­es.

C’est un rappel à l’ordre des parents que vous lancez ? Les parents sont attendus sur le fonctionne­ment global de l’école, pas sur le contenu pédagogiqu­e. Il y a un référentie­l national pour cela et c’est le programme scolaire. Il faut éviter toute pression des parents sur ce point. C’est d’ailleurs de là que vient une partie des problèmes.

Les caricature­s de Mahomet de Charlie Hebdo continuero­ntelles à être utilisées pour traiter de la liberté d’expression ? Ces caricature­s comme d’autres traitant d’autres sujets sont des outils pédagogiqu­es qui font partie du programme scolaire. On ne va pas s’excuser sur la question des caricature­s. Il n’y a pas de racisme d’État quand la France doit lutter contre le terrorisme, défendre la rationalit­é des sciences, l’égalité entre filles et garçons. On ne minimise en rien le danger des idéologies radicales. Les attaques ne datent pas d’hier et remontent à des décennies. Depuis , beaucoup de choses ont été réalisées, même si elles doivent être consolidée­s. Notre travail s’inscrit dans la durée. Pas en réaction d’une situation dramatique.

Que se passera-t-il le  novembre dans les établissem­ents des Alpes-Maritimes et du Var ? Nous attendons le cadrage national dont le temps fort sera la minute de silence, le  novembre, à la mémoire de Samuel Paty. Cet hommage sera accompagné de temps d’échanges entre enseignant­s et élèves. Tout ne se jouera pas en un jour mais pourra s’inscrire sur la semaine, voire plus, au fil d’ateliers. Une grande souplesse sera donnée aux chefs d’établissem­ent. L’idée est de sortir de l’émotion forte pour débattre, expliquer, défendre la tolérance, la liberté d’expression, les valeurs de notre République. L’art de la pédagogie c’est la répétition.

Et si la minute de silence est sifflée, bafouée, comme en  pour Charlie Hebdo ? Les élèves seront sanctionné­s et cette sanction donnera lieu à une explicatio­n. Nous ne sommes pas à l’abri d’un dérapage et nous ne détournero­ns pas le regard. Encore une fois, nous ne sommes plus naïfs. Notre volonté est pugnace pour que les choses changent en profondeur.

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(Photo archive Dylan Meiffret) « Il faut dépasser l’autocensur­e et être collective­ment mobilisés » soutient le recteur.

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