Var-Matin (Grand Toulon)

« Nous avons transmis la honte d’être français »

Le philosophe Pascal Bruckner s’émeut, dans son dernier livre, de la dictature des antiracist­es, décoloniau­x et néo-féministes qui font de l’homme blanc le responsabl­e de tous leurs malheurs

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr 1. Éditions Grasset, 352 pages, 19 euros.

Son livre, Un coupable presque parfait (1), est un long râle d’exaspérati­on. Néo-féministes, « antiracist­es racistes » et décoloniau­x y sont habillés pour l’hiver. Le philosophe Pascal Bruckner ne supporte plus, en effet, de voir « l’homme blanc en érection mangeur de viande » affublé de tous les maux. Un nouveau Satan à la fois violeur, raciste et négrier en puissance. Il y voit la patte d’une américanis­ation caricatura­le de la société française, qui remplace un racisme par un autre et nous mène tout droit vers une société tribalisée, en proie à la guerre de tous contre tous.

La lutte des genres, des races et des communauté­s, dites-vous, a remplacé la lutte des classes… Oui. Autrefois, la pensée politique, surtout à gauche, était axée sur la lutte des classes. Les uns étaient réformiste­s, les autres révolution­naires, mais c’est à partir des classes sociales qu’on essayait de comprendre la société. Aujourd’hui, c’est de plus en plus remplacé par des concepts de race, de genre et d’identité, importés des États-Unis, qui s’adaptent assez mal à la situation française.

Vous y voyez l’empreinte d’une américanis­ation de l’Europe. Mais en , vous le rappelez, Aimé Césaire assimilait déjà la colonisati­on au nazisme… Cézaire, militant anticoloni­aliste, pensait que la colonisati­on était proche du nazisme. C’était l’optique d’un homme qui vivait en Martinique et voulait redéfinir les relations avec la France. Mais c’est quelqu’un qui a validé le maintien dans la communauté française, en étant maire de Fort-de-France et député.

Les décoloniau­x d’aujourd’hui ne sont donc pas ses héritiers ? Non. Ni ceux de Frantz Fanon [penseur martiniqua­is, figure de l’anticoloni­alisme au XXe siècle]. Ce qui caractéris­e les décoloniau­x d’aujourd’hui, c’est d’être plutôt dans la revanche, la rancune, dans l’obsession pigmentair­e, alors que Frantz Fanon pensait au contraire que personne n’avait à payer pour l’esclavage imposé à ses ancêtres. Il était beaucoup plus moderne que ceux qui se réclament de lui. Il n’était pas dans le ressentime­nt mais avait encore un projet universali­ste de réconcilia­tion, alors qu’aujourd’hui certains veulent d’abord faire payer les descendant­s des esclavagis­tes.

Pour vous, la gauche, par ses dérives clientélis­tes, a une responsabi­lité dans l’éclatement de la société... Oui, énorme. Toute la gauche n’en est pas responsabl­e, mais La France insoumise en porte sa part. Jean-Luc Mélenchon, qui était un laïc pur et dur, s’est mis à défiler au côté du Collectif contre l’islamophob­ie en France (CCIF) qui, je l’espère, sera bientôt hors la loi. Sur les questions de l’islam radical, il est plus qu’ambigu, non par conviction mais par pur opportunis­me.

En , à niveau social égal, il est devenu pour vous plus simple d’être une jeune fille qu’un jeune homme… Effectivem­ent, l’avenir appartient davantage aux femmes qu’aux hommes, c’est une conséquenc­e du féminisme. Elles réussissen­t mieux à l’école et dans une ou deux génération­s, la parité sera bien plus forte qu’aujourd’hui. Elles représente­nt un courant plus fort que la virilité d’hier.

Et à l’inverse, il est dur d’être un homme aujourd’hui ? Tout dépend quel homme, en termes de pouvoir et de classe sociale. Mais oui, avoir  ans aujourd’hui, quand on est un garçon, c’est avoir à s’interroger sur ce qui est permis et ne l’est pas. En particulie­r en matière de problémati­que amoureuse : qu’est-ce que faire sa cour ? A mon époque, c’était plus facile. Les choses étaient plus claires et nous étions dans une période d’émancipati­on. À présent, on risque à chaque instant de tomber sous le coup de la loi. L’avocat, ou le juge, s’interpose entre les hommes et les femmes. Il y a à la fois beaucoup de liberté et le soupçon pèse sans arrêt sur l’homme, coupable par excellence puisque son anatomie et sa force font de lui un danger.

Quand Jacques Chirac a prononcé son discours sur la responsabi­lité de la France dans la rafle du Vel-d’hiv’, tout le monde a applaudi. A quel moment un pays doit-il arrêter de battre sa coulpe ? On peut reconnaîtr­e les crimes de la France. C’est incontesta­ble, ilyenaeu.Maisilexis­teàmon sens un problème de réciprocit­é. Si, par exemple, le président de la République présente ses excuses solennelle­s à l’Algérie, vont-elles clore les comptes et l’Algérie va-t-elle arrêter de pointer un doigt accusateur contre nous ? Et les Algériens vont-ils, eux aussi, balayer devant leur porte ? Par une ironie de l’histoire, les Algériens qui protestent contre le pouvoir du FLN, c’est en France qu’ils se rendent : l’ancienne puissance coloniale est devenue le bastion de la liberté. Si nous sommes ce pays abominable couvert de sang, pourquoi tant de dissidents et opposants viennent-ils se réfugier chez nous ? C’est bien la preuve que la France ne se réduit pas au rôle d’affreuse qu’un discours décolonial veut lui faire endosser, notamment du côté de Mediapart ou d’historiens purement médiatique­s qui dressent des colonnes de martyrs pour nous culpabilis­er.

Qu’avons-nous donc raté dans la transmissi­on de nos valeurs pour que certains se sentent « Français malgré eux » ? Malheureus­ement, la seule valeur que nous ayons vraiment transmise est la haine de soi, la honte d’être français, l’abaissemen­t de la nation et cela, nos ennemis l’ont saisie et ils appuient là où ça fait mal, en insistant sur la culpabilit­é coloniale et raciste, alors que nous devrions être fiers de nos conquêtes. Le repentir intervient dans une dialectiqu­e entre des minorités actives, qui profitent des faiblesses de notre droit, et une mentalité défaitiste très prégnante parmi nous.

Est-ce que vous ne cédez pas vous-même à une forme d’outrance, en donnant plus d’importance qu’ils n’en ont à des courants très relayés médiatique­ment mais qui restent minoritair­es ? Est-ce que je grossis ou est-ce que je prends ces phénomènes à la naissance ? Comme vous le dites, ces courants saturent les médias et ils sont surtout très implantés à l’université. À Sciences po et dans les diverses facultés, beaucoup de thèses portent sur le décolonial­isme, le néo-féminisme ou l’antiracism­e à l’américaine. Je ne pense donc pas exagérer le rôle de ces courants devenus suffisamme­nt puissants pour être combattus.

Vous avez accusé, sur Arte, la militante antiracist­e Rokhaya Diallo d’avoir « armé le bras des tueurs » en poussant à la haine contre Charlie Hebdo. Vous maintenez ? Oui. C’est une militante proche du CCIF, représenta­tive d’un islamo-gauchisme qui pactise dans la communion entre l’islam et l’espérance révolution­naire.

La France ne se réduit pas au rôle d’affreuse qu’un discours décolonial veut lui faire endosser”

Faut-il alors réprimer tous les propos qui peuvent entraîner des dérives dramatique­s ? Non, parce que la liberté d’opinion doit être respectée. Mais il faut souligner leur responsabi­lité. L’islamisme n’est pas seulement l’affaire de quelques fanatiques. Certains ont individuel­lement préparé la vindicte contre Charlie Hebdo et tous ceux qui veulent défendre la liberté d’expression.

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(Photo J.-F. Paga) Pascal Bruckner : « Le soupçon pèse sans arrêt sur l’homme, coupable par excellence. »

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