Var-Matin (Grand Toulon)

C’est le monde qui devient fou

- de MICHÈLE COTTA Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

Le chef d’État turc, Recep Tayyip Erdogan, ne recule devant rien. Ni devant l’Amérique, alors qu’il appartient pourtant à l’OTAN, ni devant la Russie, dont il vient de refuser les tentatives de médiation dans le Haut-Karabakh. Aujourd’hui, c’est la France qu’il dénonce comme son ennemi principal. Dans des termes d’une grossièret­é inouïe, Erdogan vient tout simplement de douter, publiqueme­nt, de la santé mentale du Président français et de lui conseiller, par deux fois, d’aller se faire soigner. En ces jours, décidément, c’est le monde qui devient fou : jamais on n’a entendu, de mémoire d’ambassadeu­r, un chef d’État s’en prendre en ces termes à un de ses homologues. Le rappel à Paris de l’ambassadeu­r de France n’a pas tardé, mais on le sent, le mal est profond. Et ses répercussi­ons en France ne sont pas négligeabl­es. Contesté dans son pays même lors des dernières élections politiques, où son parti a perdu la capitale, Istanbul, confronté à des sondages en baisse et à une économie plus fragile que jamais, Erdogan a choisi l’offensive. Aujourd’hui, la Turquie n’hésite pas à s’en prendre à la France parce qu’Emmanuel Macron a dénoncé, après l’atroce décapitati­on sur son sol de Samuel Paty, l’islam politique. Peu importe qu’en annonçant sa décision de combattre les extrémiste­s radicaux, le Président français ait pris soin de séparer l’islam de l’islamisme, peu importe qu’il refuse publiqueme­nt tout amalgame entre les musulmans résidant en France et les terroriste­s, Erdogan dénonce son refus d’interdire une fois pour toutes, dans son pays, le « blasphème » que représente la publicatio­n des caricature­s de Mahomet. Aucun doute : il a choisi ce terrain, délibéréme­nt, pour entraîner derrière lui le monde musulman dont il entend devenir le chef. Il y parvient partiellem­ent puisqu’ici et là, il convainc une partie des musulmans, essentiell­ement au Qatar ou au Pakistan, non seulement de crier leur colère contre la France, mais encore de boycotter les produits français. Le problème est que la Turquie soutient en France une bonne centaine d’imams, dont elle inspire les prêches et qu’elle soutient financière­ment. Même si les représenta­nts de l’islam de France ont condamné, ces jours-ci, le radicalism­e meurtrier d’un homme qui prétendait agir au nom du Coran, la présence en France d’une sorte de « base arrière » turque pourrait représente­r une difficulté supplément­aire au moment où sont annoncées les premières mesures contre le séparatism­e.

Contesté dans son pays, confronté à des sondages en baisse, Erdogan a choisi l’offensive

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