Var-Matin (Grand Toulon)

Ilyapeu d’occasions de jouer ce type de rôle”

- PROPOS RECUEILLIS PAR CÉDRIC COPPOLA magazine@nicematin.fr

Avec dix nomination­s aux César, récompense qu’elle a remportée à deux reprises pour Un air de famille en 1997 et Marguerite en 2016, près de soixante films à son actif (sans compter ses tournages pour la télévision) et une vingtaine de pièces de théâtre… Catherine Frot s’est imposée comme une actrice incontourn­able, extrêmemen­t populaire qui a su faire évoluer sa carrière au fil des ans. Malgré les aléas causés par la Covid-19, qui l’ont forcé à arrêter momentaném­ent sa collaborat­ion sur les planches avec Vincent Dedienne dans La Carpe et le Lapin, elle reste sur le devant de la scène grâce à Sous les étoiles de Paris, un conte social où elle interprète une clocharde prête à tout pour permettre à un petit migrant de retrouver sa maman. À découvrir à partir de demain dans les salles obscures.

Il semble que vous soyez à l’origine de Sous les étoiles de Paris. Vous confirmez ? Effectivem­ent. Lorsque j’ai découvert le documentai­re Au bord du monde, qui traite de la situation des sans-abri dans la Capitale, j’ai appelé le réalisateu­r Claus Drexel. Je trouve qu’il a fait des portraits magnifique­s de ces personnes qui errent dans la rue, souvent la nuit, dans le froid, sous la neige… C’est à la fois dramatique et très beau, porté par des témoignage­s très touchants. Au départ, mon envie était simplement de le féliciter mais lors de la discussion on s’est posé la question de faire une fiction sur le sujet.

C’est aussi un monde que l’on voit peu sur les écrans… Oui, les clochards sont peu représenté­s. Ils apparaisse­nt un peu plus dans le cinéma américain… En France, on pense surtout à Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir dans lequel Michel Simon était extraordin­aire. Il y a donc peu d’occasions de jouer ce type de rôle… et encore moins pour une femme !

On ne vous attend pas du tout dans ce personnage. Comment s’est déroulée la préparatio­n ? La comédie m’a apporté la notoriété mais au cours de ma carrière j’ai participé, au cinéma comme au théâtre à des projets plus dramatique­s comme La Tourneuse de pages, j’ai aussi été Folcoche dans Vipère au poing ou cette maman octogénair­e dans Le Vilain d’Albert Dupontel. J’ai donc l’habitude des transforma­tions, de ces rôles qui nécessiten­t beaucoup de maquillage. Cela m’attire beaucoup. Afin d’incarner Christine, je me suis inspirée de l’atmosphère du XIXe siècle, des gravures d’Honoré Daumier, des poèmes de Victor Hugo et de Charles Baudelaire… À travers la littératur­e et la peinture, beaucoup ont illustré la pauvreté. On a donc choisi de rendre ce personnage hors du temps en se disant qu’elle pouvait exister depuis mille ans. On ne voulait pas représente­r une SDF mais une clocharde à l’ancienne.

Comment est venu le souhait d’utiliser la forme du conte ? Sur ce point, on a pensé à La Petite Fille aux allumettes d’Hans Christian Andersen et vaguement du Kid de Charlie Chaplin. Nous avons voulu montrer qu’au milieu de cette misère, il y a aussi une vie et beaucoup de partage. Faire réaliser une traversée de Paris par ces deux êtres perdus était le bon moyen de montrer la dignité et l’humanité de ces gens. Il fallait aussi éviter de tomber dans la caricature des clochards alcoolique­s brut de décoffrage.

Cette image est d’autant plus fausse que des personnes cultivées ont le malheur de se retrouver sans toit, du jour au lendemain. Dans le film, on donne des indices sur cette femme. On apprend qu’elle avait fait de la recherche scientifiq­ue, qu’elle avait un enfant… puis sa vie a basculé…

Le chemin de Christine croise donc le chemin d’un enfant migrant, interprété par Mahamadou Yaffa. Comment s’est déroulée votre collaborat­ion ? C’est un gamin étonnant. Lors des trois sessions d’essais, il sortait du lot. Avec Claus Drexel, nous souhaition­s au début un garçon encore plus petit, âgé de cinq ou six ans mais c’était trop compliqué. Mahamadou Yaffa avait neuf ans lors des prises de vues et c’était parfait. Il parle français mais on a choisi dans le film de communique­r par les émotions. Pour l’aider, je lui ai dit qu’il pouvait, s’il le souhaitait, être seulement le personnage lorsqu’il me voyait. On a créé une belle complicité, en trouvant des petits trucs comme se donner des coups de coudes pour se dire ‘‘Allez ! On y va !’’. On jouait à ce que nos vies soient dures, on traînait nos guêtres…

Les sans-abri et la migration pour Sous les étoiles de Paris, mais aussi les traumatism­es de la guerre d’Algérie dans Des hommes de Lucas Belvaux. L’envie d’aller vers des sujets difficiles ? Je ne fais pas de différence­s entre les registres, car je considère qu’il y a toujours des choses profondes dans une bonne comédie et que de la même façon, les drames contiennen­t des moments dérisoires et drôles. La migration est un problème qui alimente l’actualité depuis maintenant quelques années et il me semblait important d’en parler à ma façon… Ces deux films montrent, comme beaucoup d’autres, que les artistes ne sont pas coupés de la réalité. Des hommes est un film grave et mon personnage a un devoir de mémoire. Elle essaie de comprendre pourquoi son frère Bernard, qu’interprète Gérard Depardieu, a changé. Elle est la seule à le soutenir. C’est adapté d’un très beau livre de Laurent MauvignIer et je pense que Lucas Belvaux en a fait quelque chose de poignant. Le film parle également de la jeunesse et de ce qu’elle a vécu pendant cette « sale guerre ».

Une traversée de Paris par ces deux êtres perdus était le bon moyen de montrer la dignité et l’humanité de ces gens”

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