« Erdogan veut faire de la Turquie une grande puissance »
Ana Pouvreau, spécialiste des mondes turc et russe, décrypte les raisons de ce regain d’animosité entre le Président français Emmanuel Macron et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan
À quand remonte la tension entre Erdogan et Emmanuel Macron ? Quel a été l’élément déclencheur de tant d’animosité ? En fait, depuis et l’élection d’Emmanuel Macron, les relations franco-turques n’ont pas cessé de s’envenimer avec la prise de positions opposées par les deux dirigeants. On pourrait citer comme exemple l’instauration par la France en d’une journée de commémoration du « génocide arménien » de . Une initiative violemment critiquée par le régime turc. Plus récemment, Erdogan a dénoncé la décision de la France de mobiliser face aux tensions en Méditerranée deux chasseurs Rafale et deux bâtiments de la Marine. Il ne tolère pas le soutien de la France à la Grèce dans le conflit sur les hydrocarbures en Méditerranée. Il n’a pas non plus apprécié les positions françaises au Haut-Karabakh, et notamment la dénonciation par la France de l’envoi au front par la Turquie de mercenaires pro-turcs sunnites en provenance du théâtre syrien.
Avec ses « saillies » et son interventionnisme international, Erdogan est un peu le Donald Trump de l’Orient. Il pourrait adopter comme slogan un « Make Turkey great again ». C’est un slogan tout à fait pertinent pour décrire la volonté de montée en puissance du président turc pour son pays. Cette détermination est d’autant plus affirmée qu’en juin , des élections générales auront lieu en Turquie : élection présidentielle et élections des députés de la Grande Assemblée de Turquie. En plus, le centenaire de la République de Turquie approche à grand pas : ce sera le octobre . À ce sujet, Erdogan poursuit, depuis , ce qu’il appelle sa « vision ». Elle traduit son ambition de faire du pays l’une des dix premières puissances mondiales. La réalisation d’une série de méga projets, notamment dans les infrastructures, en est la concrétisation. Parmi elles, la construction d’un nouvel aéroport, achevé en , doit faire d’Istanbul un hub aérien semblable à celui de Dubaï, avec un objectif de millions de passagers en . Autre projet pharaonique : celui du Canal Istanbul. Il s’agit de creuser un nouveau canal reliant la mer Noire à la mer de Marmara, pour soulager le trafic sur le Bosphore.
Avec ses excès, ses provocations, Erdogan ne cherche-t-il pas à redorer son blason sur la scène nationale ? Au-delà de sa « vision », le président turc poursuit une politique de rayonnement tous azimuts sur la planète sur le long terme. Pour lui, il s’agit moins de redorer son blason que de continuer d’aller de l’avant, sans états d’âme. Son ancien Premier ministre Ahmet Davutoglu qui fut également ministre des Affaires étrangères, avait fixé comme objectifs un rôle très important pour la Turquie dans la résolution des conflits au plan régional. Mais également un rôle déterminant sur la scène internationale, notamment au sein des organisations internationales. Dans ses rêves de grandeur retrouvée pour la Turquie, le président turc perçoit la Turquie comme une future grande puissance à l’instar des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. À titre d’exemple, l’ambassadeur de Turquie en Chine avait même déclaré en octobre , que la Turquie et la Chine partageaient désormais un « destin commun » et un « avenir commun ».
L’appartenance de la Turquie à l’Otan pose problème. Quelle est la solution ? La Turquie est membre de l’Otan depuis . Pendant la Guerre froide, elle a joué un rôle stratégique essentiel pour protéger le flanc sud-est de l’Alliance atlantique des visées d’expansion de l’Union soviétique. Tant que les ÉtatsUnis soutiendront la Turquie, sa place dans l’Otan ne sera pas remise en cause en dépit de certaines phases de détérioration des relations turcoaméricaines, comme lors de l’acquisition par les Turcs de systèmes de défense antiaérienne russes S-. De plus, des liens d’affaire lient les familles Erdogan et Trump. Les deux dirigeants se respectent mutuellement. Peut-être que cela va changer si le candidat démocrate Biden est élu.