Fabrice di Falco Le pharaon d’Akhnaten
Pour assumer son rôle, dans ce spectacle grandiose proposé à l’Opéra de Nice du 1er au 7 novembre, ce chanteur à la voix suraiguë a été obligé d’apprendre… l’égyptien ancien.
(On m’a choisi) sans doute parce qu’on estimait que j’avais la voix pour le rôle, mais aussi pour ma couleur de peau”
En voilà du nouveau ! Pour le spectacle inaugural de sa première saison, le jeune directeur de l’opéra de Nice, Bertrand Rossi, nommé il y a un an, veut frapper un grand coup, bousculer les traditions, secouer la poussière. Il va produire, à partir de dimanche, un spectacle grandiose avec un ouvrage lyrique contemporain, jamais vu à Nice – ni même à Paris – : Akhenaton (Akhnaten en anglais) de l’Américain Philip Glass. Ce compositeur a écrit trois opéras sur des personnages marquants de l’histoire de l’humanité : Einstein, Gandhi et Akhenaton. Ce dernier était le pharaon qui, en 1353 avant Jésus Christ, imposa le monothéisme, bannit la polygamie. Même si, par la suite, son successeur Toutânkhamon abolit ses réformes, il fut un souverain visionnaire. L’opéra sera monté par la célèbre metteure en scène américaine Lucinda Childs. Aujourd’hui âgée de 80 ans, elle a imaginé un spectacle sur un plateau circulaire mû par des vérins géants permettant à la scène de se lever, de tourner et de s’incliner tandis que les chanteurs évoluent au dessus. En raison de la crise sanitaire, Lucinda Childs a géré les répétitions en direct et en vidéo, depuis son appartement de New York, apparaissant sur un grand écran qui était placé au milieu de la salle de l’opéra de Nice. Pour être en direct, elle était obligée de se lever à 4 heures du matin… Une particularité de cet opéra est que le rôle du pharaon est confié à un contre-ténor, à savoir un homme arrivant à chanter dans une tessiture féminine. Ce rôle sera tenu par Fabrice di Falco, qui passe pour avoir l’une des voix d’homme les plus hautes au monde.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour apprendre cet ouvrage ? Une double difficulté ! D’abord on y chante en égyptien ancien. J’ai donc dû apprendre cette langue pour tenir mon rôle. Deuxième difficulté : la musique appartient au genre “répétitif”.
Elle reprend sans cesse les mêmes formules. Il est très difficile de s’y repérer. On peut à tout moment confondre un passage avec l’autre. Il faut donc avoir une concentration permanente pendant deux heures. La musique évolue comme un serpent qui sinue sans cesse qu’on n’arrive pas à attraper ! J’ai eu neuf mois de travail sur cette partition.
Comment avez-vous travaillé ? J’ai eu recours au service d’un pianiste niçois installé à Paris, formé au conservatoire de Nice, Yoann Piazza. Il m’a permis de mettre au point ma partition, mesure à mesure.
Pourquoi avez-vous été choisi pour interpréter ce rôle d’Akhenaton ? Sans doute parce qu’on estimait que j’avais la voix pour le rôle, mais aussi pour ma couleur de peau. En effet, lors d’une récente représentation de cet opéra à Los Angeles, s’est déroulée une grande manifestation contre l’engagement des chanteurs blancs pour incarner des personnages à la peau noire. Les Américains sont désormais très sensibles à cela. Plus question de badigeonner de noir le visage des chanteurs blancs pour interpréter des rôles de personnages noirs, comme cela se faisait auparavant !
(Avec le sultan d’Oman), j’ai chanté devant la reine d’Angleterre ou Michael Jackson”
C’est l’occasion de rendre hommage à la grande pédagogue du chant, martiniquaise comme vous, qui nous a quittés il y a quelques jours, Christiane Eda-Pierre… Oui, elle fut la première chanteuse française noire à se produire sur les grandes scènes lyriques internationales, et fut la première professeure de chant noire au conservatoire de Paris. Elle m’a suivi toute ma vie et, il y a encore quelque temps, me félicitait d’avoir accepté ce rôle d’Akhenaton. C’est à l’opéra de Nice qu’elle a débuté sa carrière en . Il faut lui rendre hommage.
Vous souhaitez rendre un autre hommage à l’occasion de ce spectacle…
Oui, au sultan d’Oman, Qabus ibn Saïd, décédé en début d’année après quarante-neuf ans de règne. Il m’a fait vivre des années de rêve en m’engageant comme chanteur privé. Je vivais dans son palais et, comme il était féru de grande musique, il me faisait chanter dans les salles de concert de son appartement ou de son yacht. J’ai aussi chanté pour ses invités de marque comme la reine d’Angleterre Elizabeth II, le vice-président des États-Unis Dick Cheney, ou encore Michael Jackson. [L’année de sa mort en , ndlr]
C’était un sultan moderne ? Oui, contrairement à ce qui se passe dans les pays voisins, il a accordé le droit de vote aux femmes, les a dispensées de porter un voile, les a autorisées à conduire et à travailler, en a engagé comme ministres ou ambassadrices. Il a eu à notre époque la même modernité qu’un autre souverain dans l’Égypte ancienne : Akhenaton.
Akhnaten., de Philip Glass, mise en scène de Lucinda Childs, avec Fabrice di Falco. Dimanche 1er novembre, à 15 h ; mardi 3 et jeudi 5 à 18 h 15 ; samedi 7 à 15 h À l’Opéra de Nice. Tarifs : 41 € , 53 € et 82 €. Rens. 04 .92.17.40.79. www.opera-nice.org