En attendant le Festival Cannes
Finalement, il n’est pas venu. Kad Merad, tête d’affiche d’Un triomphe, projeté en ouverture de Cannes 2020, n’a pas monté les marches du Palais hier soir. Comme un détenu en liberté conditionnelle, qui aurait décidé de se faire la belle. Tant pis. Les retrouvailles avec le Festival se sont faites sans lui. Et le Grand Auditorium du « bunker » avait des allures de prison dorée, qui renoue avec le chic d’une soirée de gala. Parmi les spectateurs, Brigitte Fossey, à l’heure où se rendre dans une salle obscure relèverait presque d’un jeu interdit. Le réalisateur Emmanuel Courcol et une partie de l’équipe, le jury des courts-métrages (Rachid Bouchareb, Damien Bonnard, Claire Burger, Charles Gillibert, Dea Kulumbegashvili et la scintillante Céline Sallette) étaient bien là aussi, pour applaudir un « feel good movie » bienvenu en ces temps d’inquiétude sanitaire (entre autres).
« Un ciel étoilé »
Malgré la jauge réduite de moitié et les fauteuils vides, une certaine chaleur émanait forcément du théâtre Lumière. « Nous sommes très très émus d’être dans cette salle, où nous ne sommes pas venus depuis mai 2019, clame Thierry Frémaux,
délégué général du Festival visiblement ravi de passer entre les gouttes des restrictions pour honorer ce rendezvous « hors saison », avec trois jours de projections. S’il y a bien un endroit où l’on souhaitait faire une étape (avec la sélection 2020), c’est ici. Ce n’est pas un mini-festival de Cannes, mais un mini moment pour être à nouveau tous ensemble ». Pierre Lescure, président du Festival, y est même allé de son lyrisme en voyant dans l’alternance des places occupées (un fauteuil sur deux), comme « un ciel étoilé (sic). Notre présence ici est à la fois une responsabilité, un plaisir, et une relation affectueuse car vous nous avez manqué, vous, Cannois et Cannoises. Ça sent déjà un peu Cannes 2020... pardon 2021 ! ». Lapsus révélateur des incertitudes qui pèsent à nouveau sur les mois à venir, et sur l’urgence à ne pas bouder son plaisir immédiat du 7e art. Amabilités d’usage et de franchise. Mais David Lisnard, maire de Cannes a également rappelé la nécessité vitale d’une telle manifestation culturelle, au-delà de la menace virale. « Il était inconcevable de passer une année blanche sur écrans noirs, confirme joliment le premier édile. C’est une édition très spéciale, qui incarne la volonté de sortir plus fort, de vaincre, d’être combatif… Nous sommes là pour sauver des vies humaines, biologiques, face à la propagation du virus. Mais aussi pour sauver l’humanité de la vie, parce que la vie n’est pas que biologique, et un être humain est aussi un être culturel. Ce Cannes 2020 n’est pas une faute de goût, au contraire. Il faut déclarer l’urgence culturelle, une urgence événementielle, car des milliers d’emplois et de familles en dépendent ». Alors bien sûr, il y avait les masques pour accessoires des smokings. Et en ce mois d’octobre, les collants sous la robe de soirée ne faisaient plus débat, pour passer sous les portiques désinfectants. Ambiance Covid-19, malgré tout... Mais avec Un Triomphe, cette histoire d’atelier théâtre dans un centre pénitentiaire, le cinéma, c’était à nouveau la grande évasion.
Monter une pièce de théâtre avec des prisonniers condamnés à de lourdes peines, ça peut paraître aussi absurde que du Samuel Beckett ! Mais c’est le pari fou dans lequel se lance Étienne (Kad Merad), comédien en panne, qui accepte d’animer un atelier théâtre dans un centre pénitentiaire. Il monte alors En attendant Godot, pièce avec laquelle il espère les mener sur une vraie scène, au-delà des barreaux. L’implication de ses élèves taulards dépassera ses espérances, même si l’existence n’est pas toujours aussi morale qu’une fable
Pas question d’une année blanche sur écrans noirs ”
de la Fontaine…
Inspiré d’une histoire vraie
Inspiré d’une histoire vraie (un comédien suédois a réellement monté une troupe de théâtre parmi les détenus d’une prison de haute sécurité), Un triomphe d’Emmanuel Courcol semble posséder tous les ingrédients pour ne pas faire mentir son titre. Dans le rôle d’Étienne, Kad Merad, cernes creusés, et silhouette épaissie, promène son humanité meurtrie mais obstinée parmi un casting de choc (David Ayala, Lamine Cissokho, Sofian
Khammes, Pierre Lottin, Wabinlé Nabié, Alexandre Medvedev en taulards amateurs d’art, et Marina Hands formidable dans le costume d’une directrice de prison sensible, qui veut « changer les choses »). Évitant tout excès de pathos, le film navigue habilement entre le rire et l’émotion, pour exalter l’humain en chacun et les bons sentiments, sans jamais sombrer dans l’angélisme pour autant. Et la culture, pour rendre un peu de dignité à ces hommes « en cage » comme ces lions des fables qu’on leur apprend. En sortie conditionnelle pour une représentation, le front d’un détenu posé sur la vitre du bus, avec « issue de secours » pour inscription, en dit d’ailleurs long… En attendant Cannes 2021, Un Triomphe, prix du public au festival d’Angoulême, devrait faire l’effet cadeau de Noël pour les exploitants de salles, lors de sa sortie le 23 décembre.