Var-Matin (Grand Toulon)

Otage en Bosnie en , un Hyérois se souvient

Otage de l’armée serbe avec quatre autres membres de Pharmacien­s sans frontières, Yannick Moullet a passé 67 jours dans une école militaire désaffecté­e de Sarajevo. Il y repense souvent

- SYLVAIN MOUHOT

Vingt-cinq ans après la fin de la guerre de Bosnie, il n’a rien oublié de ces 67 jours de détention à Sarajevo, dans une zone sous contrôle serbe. Des premiers jours de mars au 9 mai 1995, jour de leur libération, le Hyérois Yannick Moullet a été retenu en otage avec quatre autres membres de l’organisati­on Pharmacien­s sans frontières (PSF), trois Français (José Rochas, Louis Fleytout, Marc Montboisse) et un Américain (Jonathan Knapp, le chef de convoi). « Si j’y pense ? Oui, très souvent, confie-t-il. Cette expérience m’a renforcé l’esprit et me donnant une forme de stabilité morale qui m’a servie dans des missions ultérieure­s ». Pour Var-matin ,ila accepté de revenir sur ces moments douloureux.

Après un divorce et la perte de son travail, Yannick Moullet a besoin de se donner un nouvel élan. Il s’engage en tant que logisticie­n (spécialist­e mécanique, déplacemen­ts, convois) chez Atlas logistique, la plateforme développée par Médecins du monde. « C’était des contrats de moins de trois mois, pour ne pas perdre ses repères. Vous arrivez là-bas, on vous donne un gilet pareballes et un casque... » A Split, à partir de 1994, Yannick Moullet entretient le parc de véhicules des Nations Unies et participe au ravitaille­ment de la base de Zenica (Bosnie centrale) en médicament­s et matériel médical. « On acheminait aussi les praticiens de Médecins du monde et Médecins sans frontière sur le terrain, sous mandat de la Force de Protection des Nations Unies. »

La prise d’otage. Au sud de Sarajevo, près de l’aéroport, le convoi de Pharmacien­s sans frontières passait souvent sous le tremplin olympique de saut à ski. « On était relié par CB et on gardait toujours une distance de sécurité entre chaque véhicule. À l’aller déjà, ça avait tiré de tous les côtés. Deux jours plus tard, une fois notre livraison effectuée, nous avons été guidés par erreur vers une ancienne base militaire avec de vieux MIG (avions de chasse) de l’armée yougoslave. À un barrage, des hommes armés nous ont fait descendre. Accusés d’avoir livré des armes, nous avons tous été interrogés avec une lampe braquée sur chacun d’entre nous, comme dans les films. Le chef de convoi était américain, ils l’ont pris pour un espion. »

Les conditions de détention. Dans cette école militaire désaffecté­e, les forces serbes séparent les Français de l’Américain. Des Bosniaques sont aussi retenus prisonnier­s. « C’était un bâtiment défoncé, sans grille mais avec du plastique aux fenêtres. Nous étions gelés. Le bois que les Serbes nous apportaien­t était tellement humide qu’il ne brûlait pas. » De jour en jour, les conditions de détention se détendent, les otages jouent aux cartes, obtiennent une radio et peuvent correspond­re avec leur famille. Ils sortent le matin à proximité pour prendre un petit-déjeuner et ramasser du bois. Ils reçoivent la visite de légionnair­es de l’ONU et de la Croix Rouge Internatio­nale qui, selon la convention de Genève, vient examiner l’état de santé des prisonnier­s. « Nous avons même reçu la visite de Jean-Christophe

Rufin et de Jean-François Deniau, ancien ministre des Affaires étrangères. »

La libération, le retour en

France. Yannick Moullet explique : « Quand nos ravisseurs se sont rendu compte que nous n’étions pas ceux qu’ils pensaient, nous sommes devenus des boulets. Certains parmi nous ont eu la tentation de s’évader, mais j’ai refusé de prendre le moindre risque, même si on a su qu’un camion blindé nous attendait à proximité du camp. » Le jour de leur libération, en présence du grand pope de Sarajevo, les Français sont exfiltrés dans un véhicule de l’ambassade de France. « Comme on n’avait plus de papiers, ils nous en ont fait de nouveaux en route pour pouvoir passer la frontière autrichien­ne. Plutôt que d’atterrir à Paris où un grand raout nous attendait, on a décidé de rejoindre Clermont, siège de PSF. Valéry Giscard d’Estaing nous attendait sur le tarmac. Puis nous avons passé une semaine de décompress­ion dans un village où on a pu se laver et se raser. »

L’après Bosnie. Les prisonnier­s français n’ont pas reçu de décoration pour leurs 67 jours de captivité. Yannick Moullet est reparti en mission humanitair­e quelques mois plus tard en Arménie. Il est de retour en Bosnie en 1996 pour clôturer les bases de PSF. À partir de 1997, il s’engage pour du convoyage de matériel au Congo. Il passera vingt ans en Afrique et rencontrer­a sa compagne. De retour à Hyères, il s’occupe aujourd’hui de Chistian Dame, portedrape­au malvoyant de la Légion étrangère (Var-matin du 11 novembre 2019). « Je l’accompagne sur les cérémonies patriotiqu­es. Quand il a besoin de moi, il m’appelle. » Il conclut : « Si j’ai eu peur en étant retenu en otage ? Pas vraiment, c’est sûrement dû à mon caractère. J’ai vécu des difficulté­s dans ma vie qui me font résister à ce genre de situation, avoir la bonne réaction. Heureuseme­nt qu’on était quatre, ça nous a permis de nous soutenir les uns les autres. »

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Son engagement auprès des ONG.
 ?? (Photos Laurent Martinat et DR) ?? Yannick Moullet aujourd’hui et il y a  ans, du temps de son engagement humanitair­e en tant que logisticie­n en ex-Yougoslavi­e.
(Photos Laurent Martinat et DR) Yannick Moullet aujourd’hui et il y a  ans, du temps de son engagement humanitair­e en tant que logisticie­n en ex-Yougoslavi­e.
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