Au Maroc, Patricia mijote un avenir aux jeunes Aider ces enfants est une façon de vieillir utilement”
Dans le sud du pays, à Taroudant, cette Peymeinadoise a créé l’association Maison Bonheur qui ouvre ses portes aux jeunes défavorisés et les forme aux métiers de la restauration.
Viens, je fais le tajine et on discute. » Pas question de refuser. La générosité, le sourire, la main tendue, le coeur ouvert. Patricia a tout ça. Prête à dresser le couvert pour tchatcher à découvert. À partager sa délicieuse cuisine aux mille et une épices et ses petits secrets de marmiton. Coup de bol. Elle est à Peymeinade au moment où on la sollicite. Car elle passe davantage de temps à 2000 kilomètres de la commune du pays grassois. Taroudant. Sud du Maroc. Province du Souss. Une ville où 70 000 habitants vivent et vivotent le plus souvent grâce à l’agriculture, quelques usines «et le tourisme qui se développe bien », note-t-elle, en remplissant une assiette. Parfums exquis. En arrière-plan, la cuisine est joliment décorée. «Ça a été un de mes métiers. Restaurer des meubles anciens, imaginer des décorations. »
Patricia Marella Frangioni a aussi travaillé dans la biochimie. Mais ce qu’elle a le plus fait, c’est enseigner la gym. Jusqu’à avoir sa propre salle. Métier passion pour cette ultra-sportive que le marathon des Sables a entraîné au Maroc, une première fois, il y a une petite vingtaine d’années. « De ce défi, je suis revenue complètement transformée. Même si je n’avais pas vu grand-chose du pays, il était évident qu’il me tendait les bras. » Elle y remettra d’abord timidement le bout du nez. Jusqu’à vivre à Taroudant aujourd’hui plusieurs mois dans l’année.
Apprendre un métier
« J’ai tout de suite été frappée par les orphelinats, le nombre d’enfants dans les rues, les conditions des familles dans une extrême pauvreté. » Quand elle parle des gamins de Taroudant, sa voix se teinte d’émotion. Forcément, leur détresse va droit au coeur de cette maman de grands enfants et grand-mère de petits bouts. Elle a envie d’agir, de faire quelque chose, de « vieillir utilement » ,assène-t-elle. Alors, pendant quelques années, Patricia oeuvre bénévolement à l’orphelinat de la ville. Avant de monter son propre projet. Maison Bonheur. Deux jolis mots pour un important combat. « Au début, l’idée était de créer un salon de thé solidaire qui permettait aux femmes qui travaillent à l’orphelinat d’avoir un complément de revenus, retrace Patricia. Mais aussi aux jeunes de la rue désireux d’apprendre la restauration, de recevoir une formation. Car il y a pour eux, des débouchés au Maroc. » C’est sur ce deuxième volet que reposera finalement l’association. Afin de faire « briller dans les yeux des jeunes un avenir. » Avril 2018. Patricia Marella Frangioni lance sur Kisskissbankbank une campagne de financement participatif. Et récolte 20 924 euros en quelques semaines. De quoi financer l’aménagement du lieu, en plein coeur de la médina. Créer une cuisine, une salle de réception. Payer, un temps, le loyer, les charges, les assurances, Internet...
«Tata jus d’orange »
Là, elle imagine un lieu de partage, un lieu pour tous, un endroit où les jeunes peuvent apprendre, où les habitants peuvent échanger, vivre, se poser. Où les touristes peuvent déguster de bons petits plats, en toute simplicité. Elle s’y met. Peint, monte une terrasse. Assemble des meubles avec des palettes de récup. Huile de coude et bonne volonté. La décoration est, bien entendu, soignée. Ponctuée çà et là d’objets d’artisanat local. Poche de solidarité, cocon de sérénité. Doucement, les idées deviennent des images, du bruit, des couleurs, des clameurs, des odeurs. Cette main tendue, les enfants de la rue, les orphelins, les jeunes déscolarisés ou en situation précaire la saisissent. Ils viennent reprendre confiance en eux, chez « Tata Patricia ». Ou « Tata jus d’orange », c’est selon. Le programme est simple. En début de semaine, on apprend. Les gestes d’hygiène. La sécurité.
On fait la cuisine mais pas seulement”
La technique. La gestion et les achats aussi. Chaque jeudi, vendredi et samedi, c’est la popote solidaire. Au menu : salade niçoise (!), cuisine méditerranéenne, tarte tatin tomate tapenade, pâtes a pistou, gâteau au chocolat et mousse à la fraise... «On fait la cuisine tous ensemble. On fait la cuisine, mais pas seulement. On parle, beaucoup. On apprend et on rigole. » Avec l’aide d’Hanane, psychothérapeute, Patricia essaie de lever certains freins. De leur redonner l’espoir. « On essaie de tout faire pour qu’ils soient heureux chez eux, qu’ils trouvent du travail et ne courent pas après un rêve d’Europe qui les décevra au final. »
Ça passe par la cuisine. Mais aussi le sport que Patricia invite à pratiquer, par des activités hors du temps de formation. Puis il y a les immersions professionnelles dans les riads du coin, proposées dès que les jeunes ont acquis les connaissances indispensables. « Les établissements jouent le jeu et ils sont heureux d’avoir des employés compétents. »
Continuer à écrire l’histoire
Le cercle vertueux ne s’arrête pas là : les bénéfices du restaurant servent à financer de belles actions. Individuelles – des soins dentaires pour une orpheline. Ou collectives – des cartables et des vêtements chauds pour les minots de l’Atlas ou des paniers de denrées pour les confinés sans ressources. Car la Covid-19 a également freiné l’activité économique au Maroc. Et mis en pause la partie restauration de Maison Bonheur ainsi que la formation pratique des jeunes protégés. Gros blues mais pas gros coup de mou pour Patricia. Elle se bat. Frappe aux portes avec l’énergie du désespoir. Pendant des mois, elle a distribué des repas aux personnes isolées. Elle multiplie les contacts avec des chefs formateurs parlants marocain qui pourraient venir prodiguer leurs conseils aux jeunes. Elle déniche quelques dons. Pour continuer à écrire cette histoire. Leurs histoires. Celle d’Houssem, jeune de l’orphelinat, que Patricia a aidé pour poursuivre ses études de journalisme à Rabat. Celle d’Hamza, qui s’est remonté les manches pour obtenir un stage en informatique. Ou de Salah, qui a choisi de reprendre des études en école d’agriculture. De belles histoires.