Var-Matin (Grand Toulon)

Je ne fais pas du business, je fais de la cuisine”

- JACQUES GANTIÉ

Jean-Georges, Daniel, Le Bernardin, ces restaurant­s sont des institutio­ns tenues par des chefs français à New York, la ville qui adore la gastronomi­e mais qui a été durement frappée par la Covid depuis le printemps. À deux pas du Rockefelle­r Center, Le Bernardin était fermé depuis la mimars et Éric Ripert ne l’a rouvert que début octobre, à seulement 25 % de sa capacité, en même temps que Jean-Georges Vongericht­en (dix restaurant­s) et Daniel Boulud qui vient de lancer Boulud-sur-Mer avec une nouvelle carte aux saveurs de la Côte d’Azur. « Mais New York sera toujours New York et reviendra au niveau où elle était, avec sa créativité et son énergie », affirme Éric Ripert. Il y accoste en 1991 à l’âge de 23 ans, peu après son arrivée au Watergate Restaurant de Washington, recommandé par Joël Robuchon à Jean-Louis Palladin, précurseur des chefs français outre-Atlantique. Propriété de Maguy et Gilbert Le Coze, frère et soeur et créateurs à Paris de l’enseigne éponyme, Le Bernardin l’attend. À la mort du second en 1994, le jeune Antibois reprend les rênes aux côtés de Maguy et en fera le meilleur restaurant de poissons des États-Unis. Trente ans ont passé au 155 West 51 Street et ce chef charismati­que ne s’endort pas sur ses lauriers .«Cheznous,

(1) pas de plats signature. New York oblige à se renouveler et le client aime notre mélange de rigueur, de sophistica­tion et de naturel et vit un moment culinaire unique, en toute décontract­ion. »

« Trump ? A meat and potato guy !»

Rien d’étonnant à ce que Le Bernardin collection­ne stars et célébrités... Sauf Donald Trump. «Il n’est jamais venu », confie Éric Ripert. « Il n’aime ni les fruits de mer ni la cuisine du poisson, c’est un meat and potato guy [un amateur de viande et de patates, ndlr]. Il a l’image d’un amateur de hamburgers. La gastronomi­e française n’est pas son truc alors qu’elle vit partout à Manhattan dans des restaurant­s de luxe et des bistrots comme Balthazar,

Pastis ou Le Coucou de Daniel Rose, chef américain formé en France. » Exit Trump et grand large pour ce restaurant aux 110 couverts dont les menus (90 à 228 dollars) offrent un des meilleurs rapports qualité-prix de Manhattan et des produits d’exception, huîtres du Maine, queue de homard laquée, langoustin­e et truffe blanche d’Alba, thon bleu, truite de Tasmanie... « Tous nos poissons sont sauvages, issus d’une pêche durable et la viande est labellisée ‘‘humanely raised’’ [élevée avec humanité, ndlr] », détaille Éric Ripert. Reconnu pour ce fine dining raisonné et sa créativité décomplexé­e, il l’est aussi pour son engagement dans la vie associativ­e. Il finance City Harvest, organisati­on de secours alimentair­e qui sert 64 millions de repas aux plus démunis et au plus fort de la Covid, il a ouvert une cuisine de crise avec quatre de ses 180 employés au chômage, préparant 400 repas quotidiens pour les soignants de New York. Aussi célèbre que Daniel Boulud – quinze enseignes dans le monde dont six à New York – ou l’Alsacien Jean-Georges Vongericht­en, à la tête d’un empire de quarante restaurant­s, il est l’homme d’un seul navire, Le Bernardin. « J’ai ouvert des adresses à Miami, Atlanta, Washington, à Grand Caïman

et à Philadelph­ie mais je me dispersais et perdais ma créativité alors j’ai tout arrêté. Je préfère mon équilibre personnel, ma vie de famille et les moments avec mon équipe plutôt que passer mon temps dans les avions. Je ne fais pas du business, je fais de la cuisine. »

De JR au Dalaï-lama

Il incarne en tout cas un métier qui ressemble peu à ce qu’il a connu à ses débuts en France. « Un chef gérait souvent sa cuisine par l’humiliatio­n, la violence physique était courante et les casseroles volaient. Au Jamin de Joël Robuchon, où je suis entré en 1983, la pression était psychologi­que. On passait des heures à peindre des points rouges autour d’une assiette et je ne savais plus si ce chef que je respectais était un génie ou un fou. Sans doute les deux. En route vers les trois étoiles, il ne tolérait aucune erreur et savait trouver le mot qui faisait mal. » Lui est plus zen... Converti au bouddhisme, il médite deux heures chaque matin avant de se « connecter avec la nature » en traversant Central Park et de rejoindre son restaurant. « Le bouddhisme m’aide à devenir meilleur », dit ce chef qui a accueilli le Dalaï-lama au Bernardin et a reçu Jeong Kwan, spécialist­e de la cuisine bouddhiste, dans son émission Avec Eric sur la chaîne publique PBS. Cet engagement cohabite sans peine avec une starisatio­n naturelle aux États-Unis, nourrie de shows télévisés – dont Top chef USA – et de best-sellers comme A Return to Cooking ou 32 Yolks (32 jaunes d’oeuf), son autobiogra­phie. Il y raconte son enfance à Antibes et Saint-Tropez, une famille tôt dispersée – sa mère, patronne d’une boutique de mode, son père, directeur de banque – le départ à 15 ans en Andorre, le divorce de ses parents, la mort de son père, le BEP de cuisine à Perpignan... et la révélation d’une mousse au chocolat préparée par un ex-légionnair­e devenu aubergiste. Un signe sur le chemin des étoiles. La Côte d’Azur, où sa grand-mère lui a appris pissaladiè­re, petits farcis et soupe au pistou, reste dans son coeur mais son rendez-vous annuel vient d’être manqué pour cause de Covid. Il y aurait retrouvé sa marraine et aurait aimé découvrir le Mirazur de Mauro Colagreco, 3 étoiles à Menton, mais il est resté à New York où il prépare son prochain livre, Vegetable Simple et l’adaptation au cinéma de 32 Yolks prévue fin 2021. Le travail, la rigueur, l’éthique, les projets... Sa ligne de vie. 1. 3 étoiles Michelin, 4 pour le “meilleur restaurant des États-Unis” pour le magazine en bonne place au

et 2e de qui classe les 1 000 meilleurs restaurant­s du monde...

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