Var-Matin (Grand Toulon)

Pierre de Villiers : « Il faut que notre naïveté cesse »

L’Équilibre est un courage. Dans son troisième livre paru chez Fayard, le général de Villiers avance des pistes pour tenter de réparer la France. Avec lucidité, il évoque les fractures du pays

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Sa démission à l’été 2017 de son poste de chef d’étatmajor des Armées est de l’histoire ancienne. Rendu à la vie civile, Pierre de Villiers écrit. Avec frénésie. « Avec mes tripes », ajoutet-il. Trois livres en trois ans ! Parcourant la France en tous sens, multiplian­t les rencontres avec ses concitoyen­s de toutes classes sociales, cet homme de conviction­s a des choses à dire. Avec la franchise qu’on lui connaît.

Ce livre a tout d’un programme politique. Vous y pensez en vous rasant le matin ? Êtes-vous approché par des partis politiques ?

C’est un livre politique, au sens où je traite des grandes problémati­ques de l’organisati­on de la cité. Mais ce n’est pas une plateforme politique. C’est un livre de stratégie. Un livre qui vise à tracer les grandes directions sur lesquelles il faut retisser notre creuset national, refonder notre pacte national mis à mal aujourd’hui. J’y explique toutes les fractures, notamment les fractures territoria­les entre la France rurale, la France urbaine et la France des cités. Trois France qui ne vivent pas au quotidien de la même manière. Sans oublier la fracture sociale. Nous y sommes. Et ces fractures surviennen­t dans un monde qui est géopolitiq­uement très instable du fait du terrorisme islamiste et du retour des États puissance comme la Turquie. Face à la gravité de cette situation, l’heure est à la réflexion. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit ce livre, pas à des desseins politiques personnels. Je laisse ça à d’autres. Je ne suis pas un homme de pouvoir mais un homme de responsabi­lité. C’est d’abord l’amour de la France et le sens du service qui m’a guidé. J’ai servi la France pendant  années dans l’armée et je poursuis aujourd’hui ce service différemme­nt.

Trois ans après avoir donné votre démission à Emmanuel Macron, vous semblez plutôt en phase avec le chef de l’État. Presque « Macron-compatible »...

Je pense qu’il y a une différence entre le « en même temps » et l’équilibre que j’appelle de mes voeux. Je ne suis pas dans le dosage politique gauche-droite. Je suis dans une réflexion plus large, plus stratégiqu­e, avec deux plateaux de la balance pour qu’il y ait équilibre. La fermeté d’un côté. Notre pays en manque. On a négligé le régalien – défense, sécurité, justice – depuis trop d’années. Mais on manque aussi d’humanité. De considérat­ion. Un fossé s’est creusé entre ceux qui dirigent et ceux qui exécutent. On l’a vu avec la crise des Gilets jaunes. Et c’est bien cet équilibre, même si ce mot en France est interprété à tort comme de la mollesse ou du centrisme, qu’il faut atteindre. On est d’autant plus ferme qu’on est humain. On est d’autant plus humain qu’on est ferme.

Il est beaucoup question d’Éducation nationale, d’école dans votre livre. C’est la clé pour résoudre les problèmes de la France ?

C’est une clé qui ne suffit pas, mais c’est une clé indispensa­ble. L’histoire de notre pays commence par l’histoire de nos jeunes, par la formation de nos jeunes dès leur naissance et la façon dont ils sont éduqués, instruits, formés. Il y a une vraie réflexion à mener pour que l’on puisse resserrer les liens entre les professeur­s, les élèves et les parents. J’ai beaucoup réfléchi à ce thème de l’éducation. Et je consacre tout un chapitre sur la façon dont on pourrait améliorer notre système éducatif avec l’amour de la France qu’il faut transmettr­e aux petits Français. Nos anciens, avec toute leur expérience, ont un rôle majeur à jouer. Je crois beaucoup à l’intergénér­ationnel. C’est un vrai enjeu. Pour en revenir à l’Éducation nationale, nos professeur­s manquent de considérat­ion. Ils ne sont pas assez respectés, pas assez remerciés, pas assez aidés. Parce qu’aujourd’hui ce n’est pas facile d’être professeur dans notre société. Surtout dans certains quartiers où, finalement, on a du mal avec les parents et on a du mal avec les enfants. Voilà pourquoi je m’intéresse à la jeunesse. À tous les jeunes, quels que soient leurs origines et leurs parcours.

On a malheureus­ement vu avec la décapitati­on du professeur Samuel Paty par un islamiste toute la difficulté à l’heure actuelle sur ces questions-là. Elle existe vraiment cette e colonne que certains hommes politiques évoquent quand on parle de radicalité islamique ?

Il est clair qu’il faut que notre naïveté cesse. Les terroriste­s islamistes sont partout dans le monde. C’est une idéologie qui vise à instaurer la barbarie, non pas comme un simple moyen d’action mais comme une fin. Éradiquer l’organisati­on de nos sociétés occidental­es et la remplacer par la charia est leur objectif. En France, vous avez plusieurs milliers de jeunes, en particulie­r dans les cités, mais pas que, qui sont anti-Français primaires et qui sont parfois la proie des salafistes. Les mosquées radicales, effectivem­ent ça existe.

Les imams radicaux avec des prêches anti-Français, ça existe. Et il est temps de réagir fortement de façon à expulser ces imams, expulser ces personnes qui sont dans la violence extrême et dans la barbarie. Beaucoup de choses ont été faites depuis les attentats de -, mais il faut durcir à la fois notre législatio­n et adapter notre État de droit. Il y a des gens en France qui sont prêts à l’action la plus violente possible au nom de l’islamisme radical.

Que vous inspire le projet de loi contre le séparatism­e ?

Après chaque attentat que j’ai connu – Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher, le  novembre, le Bataclan, Nice… – il y a toujours trois étapes. Systématiq­uement. Première étape : sidération, hommage. Deuxième étape : vote d’une nouvelle loi et applicatio­n des mois et des mois après parce que notre système est très long en France. Troisième étape : des mesures spectacula­ires, symbolique­s qui montrent qu’on ne reste pas sans réagir. J’espère qu’on va s’écarter de ce schéma et qu’on passera de la réaction, à l’anticipati­on pour arrêter d’être surpris par cette menace persistant­e. « Ne pas subir » pour reprendre la devise du maréchal De Lattre. Aujourd’hui, on n’est pas dans l’anticipati­on. On est dans la réaction permanente. On est dans le temps court, dans l’émotion, dans l’instantané. C’est vrai pour la pandémie. Ça l’est aussi pour la lutte contre l’islam radical. Or, l’art de gouverner est de donner un cap avec une stratégie.

Ces cités qui concentren­t les problèmes de communauta­risme sont-elles encore réconcilia­bles avec la République ?

Nous n’avons pas le choix. Ces jeunes des cités sont nés en France pour la plupart. Il faut donc s’en occuper et les amener à aimer la France. Il faut cet équilibre subtil que je vous décrivais précédemme­nt entre la fermeté et l’humanité. Il faut les aimer. Je rencontre ces jeunes régulièrem­ent. Des jeunes parfois bien en difficulté, bien cabossés par la vie, qui ont, pour certains, fait plusieurs séjours en prison et qui n’ont pas forcément pleinement conscience du Bien et du Mal. Quand on s’en occupe, quand on les considère, quand on est ferme, on peut les emmener très loin. Mais la tâche est titanesque, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Et c’est un plan global qu’il faut avoir. C’est ce que proposait Jean-Louis Borloo dans son plan Banlieues de . Une approche globale avec de l’éducation, de l’infrastruc­ture – le logement, c’est la première dignité –, de l’emploi, de l’économie, de la sécurité. Sans oublier la culture. Tout commence peut-être par la culture. Ce ne sera pas facile. Mais c’est le grand chantier qu’il faut mener dans les mois et les années à venir. Ce n’est pas une affaire de prochaines élections, c’est une affaire de prochaines génération­s. Car on ne change pas du communauta­risme en culture française par un simple décret, une simple loi, de simples annonces. La décapitati­on de ce professeur et l’attaque de la basilique de Nice pourraient être un point de bascule. On entend la fin du politiquem­ent correct, la fin de l’omerta. Très bien, eh bien en avant !

On est dans l’émotion, l’instantané ”

L’attaque de la basilique de Nice pourrait être un point de bascule”

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(Photo DR/ © Elodie Grégoire)

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