Var-Matin (Grand Toulon)

François Durpaire : « Quoi qu’il se passe, c’est une victoire du Trumpisme »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD / ALP

Pour l’historien spécialist­e des Etats Unis, cette élection même si elle consacre Joe Biden, est d’abord une victoire du président sortant, qui receuille plus de voix qu’en 2016.

Au-delà de l’incertitud­e qui demeure, quel est pour vous le fait marquant de cette élection ? Pour moi il y en a deux. Le premier fait marquant, c’est que les sondeurs se sont encore trompés ! Ils ont sous estimé les électeurs de Donald Trump. Le second fait découle du premier : c’est Donald Trump lui-même, président des Etats-Unis, qui déclare « on est entrain de nous voler l’élection ! » C’est inédit dans l’histoire politique du Pays.

Cette élection est-elle un crash test pour la démocratie américaine ? Oui et non. Non, si on considère le nombre d’Américains qui se sont déplacés pour voter ; on doit se dire que c’est un formidable moment démocratie ! Les Américains ne sont peutêtre d’accord sur rien, mais ils sont d’accord sur une chose, c’est de voter pour se départager. Nous avons plus d’images de gens qui votent que de gens qui se battent. Mais oui quand même, ce scrutin constitue un crash test pour la démocratie américaine, car les candidats ont uniquement leurs supporters derrière eux. Ils peinent à unifier le pays et beaucoup d’Américains vont dire « ce n’est pas mon président… » Rappelez-vous que certains reprochaie­nt déjà au président précédent, Barack Obama, ne pas être né aux Etats Unis et par conséquent ne pas être légitime pour être président. Quant à Georges W.Busch, son élection en  s’est déjà jouée devant la Cour Suprême. Donc si Joe Biden est élu, beaucoup diront qu’il l’a été sur tapis vert et qu’il a volé l’élection.

Est-ce qu’une réflexion peut justement s’engager sur les modalités du vote qui ne correspond peutêtre plus aux besoins d’une démocratie moderne ? On se pose la question depuis quatre ans de savoir si ce système est réformable. La question qui se pose régulièrem­ent concerne les grands électeurs et sur l’éventualit­é de leur élection à la proportion­nelle, qui correspond­rait à la réalité de la population de chaque Etat. Car aujourd’hui, on surévalue les petits états ruraux. C’est une possibilit­é qui est envisagée mais qui sera très compliquée à changer, car changer la constituti­on américaine implique d’avoir l’accord des / du Congrès et la majorité des Etats. Pas simple… On peut penser que cela n’arrivera pas.

Sans vous demander un pronostic, comment voyez-vous la situation évoluer ? Deux scénarios sont possibles. Joe Biden est en ballottage favorable. Il a remporté le Wisconsin et on peut penser qu’il va gagner dans la soirée (la nuit dernière) le Michigan. S’il gagne aussi la Géorgie cette nuit, il est élu avec  grands électeurs. S’il n’a pas la Géorgie, il peut viser le Nevada, ce qui lui ferait pile poile le nombre de grands électeurs. On le saura aujourd’hui. C’est le scénario du meilleur pour Joe Biden. S’il ne remporte pas ces deux derniers Etats, on va se retrouver avec une Pennsylvan­ie déterminan­te, avec un comptage très long qui peut durer trois jours. Et ce sera contesté par le camp républicai­n.

Trump brandit la menace de la saisine de la Cour

Suprême, mais il ne peut le faire comme ça ? Non, mais le parti Républicai­n a déjà engagé une série de recours contre les prolongati­ons de réception des bulletins de vote en Pennsylvan­ie. Il faut bien sûr que ces procédures aillent à leur terme, que les cours fédérales prennent des décisions et qu’ensuite seulement la Cour Suprême finisse peut-être par trancher. Cela avait été le cas en . C’est ce qu’espère Donald Trump en contestant tout ce qui est possible. Tous les votes arrivés par la poste vont être contestés par les Républicai­ns. Si la procédure allait au bout, la Cour Suprême pourrait trancher en décembre.

On a tout de même le sentiment que Trump luimême envisage la défaite ?

Il l’a envisagée en effet mardi en déclarant que c’était difficile pour lui d’admettre cela… On pourra tout de même dire, s’il perd, que c’est une défaite par la grande porte ! Il y a plus d’Américains qui ont voté pour lui en  qu’en . C’est une victoire du Trumpisme. Il pourrait même envisager de se représente­r dans  ans. Imaginez ce pauvre Joe Biden, avec un Sénat qui lui est hostile, des juges à la Cour Suprême hostiles, et avec des tweets cinglants et incessants de Donald Trump… Cela l’empêcherai­t de gouverner sereinemen­t.

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(Photo AFP) Joe Biden, lors d’une courte allocution télévisée, hier soir, a prédit une victoire.
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(Photo ALP) François Durpaire.

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