Var-Matin (Grand Toulon)

Il était ultra provoc’. Il voulait être détesté”

- Amaurette@nicematin.fr

Qu’il s’agisse de sa Fleur de tonnerre, dans lequel il racontait la vie d’Hélène Jégado, l’empoisonne­use bretonne au début du XIXe siècle (2013) ou de son Entrez dans la danse, récit d’une bien curieuse peste dansante au Moyen Âge (2018), Jean Teulé aime les histoires vraies et les sombres ambiances. Dans son dernier roman, l’auteur normand de 67 ans, qui s’était également intéressé à la vie d’illustres poètes avec Ô Verlaine ! (2004) ou Je, François Villon (2006), se penche cette fois sur « l’Everest des poètes » dit-il : Charles Baudelaire. « Baudelaire, c’est le pompon ! Sans Baudelaire, il n’y aurait pas eu Rimbaud, pas eu Verlaine, pas eu Mallarmé. Si on doit lire un seul recueil de poésie française dans sa vie, c’est Les Fleurs du mal », insiste Jean Teulé, qui a voulu pour l’auteur une biographie raccord avec sa vie dissolue. Dans Crénom, Baudelaire !, l’ancien scénariste de BD au style gouailleur – dont les écrits font aujourd’hui l’objet de nombreuses adaptation­s dessinées ou au cinéma – fait de la vie hors des clous et de la personnali­té détestable du poète un roman enlevé. Cru. Presque dérangeant parfois, drôle souvent et surtout, extrêmemen­t documenté. Mêlant la rigueur de l’Histoire à la légèreté de cette langue argotique chère à Teulé. « Il y a des tonnes de livres sur Baudelaire et, la plupart du temps, ils sont très intellectu­els. La force de sa poésie, etc. Comme s’ils parlaient de la Bible ! Ou alors, ils sont très sages, ils y vont sur des oeufs. Par exemple, peu parlent de cette histoire du “Crénom”, mot qu’il a lâché en tombant des marches d’une église vers la fin de sa vie, à Namur. Moi je me suis dit : “Je vais faire exactement le contraire. Je vais faire un roman rock’n’roll, un truc vivant avec des dialogues”. Parce que, comme j’aime bien le dire : Baudelaire était le premier punk de l’Histoire ! »

Drogué, menteur, misogyne…

Au fil des pages on découvre, un poète certes, mais aussi un mec shooté du matin au soir, un affreux misogyne, un égoïste odieux, un menteur. Et puis, un excentriqu­e, un enfant sensible qui ne se remettra jamais du remariage de sa mère, un homme bouleversé par les « petites vieilles ». « Il aimait les gens différents, en dehors de tout stéréotype. Il se teignait les cheveux en vert, était toujours habillé de manière originale, ce n’était pas un punk à chien, c’était un punk à mouton… Il se promenait avec un mouton rose. Il était ultra provoc’ » ,résume l’écrivain qui a épluché biographie­s officielle­s et témoignage­s. « Tous les auteurs, moi compris, on a envie que les gens nous aiment, lui, il voulait être détesté. Sur les femmes, il a écrit des choses qui me sont insupporta­bles, qu’aucun rappeur, même le plus fou, n’écrirait aujourd’hui ! En même temps, son histoire, c’est un chagrin d’enfant. Et c’est quelqu’un qui, à la fin de sa vie, disait : “Maintenant, dans la rue, un homme qui marche derrière moi, un chien ou un enfant que je croise, me donnent envie de m’évanouir”. Qui a aussi été capable d’écrire sur les dames âgées des choses d’une tendresse… » C’est tout le paradoxe de Baudelaire que raconte Teulé. « L’horreur et l’extase » en somme. Comme celles du poète face à la vie elle-même. « Au départ, je ne l’aimais pas, je me suis dit : “Ça va pas être évident d’écrire sur lui”. Et puis, on finit par avoir de l’empathie. »

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