Var-Matin (Grand Toulon)

Une chance que d’écrire pour les Restos du Coeur”

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

Passée entre les mailles de la Covid-19 au printemps dernier, Karine Giébel a mis à profit ce temps entre parenthèse­s pour terminer Chambres noires ,recueil de nouvelles dont quatre inédites sorties hier, écrites au printemps dernier. Des nouvelles de vie, d’envie d’écrire de l’auteure toulonnais­e qui met une nouvelle fois en lumière des travers de notre société contempora­ine.

En quoi la nouvelle se différenci­e de l’écriture d’un roman ? C’est un exercice exigeant, plus encore dans la littératur­e noire, car il faut à la fois créer un suspense, une intrigue, des personnage­s attachants, une vraie chute, tout cela condensé dans un minimum de pages… Personnell­ement, je trouve que cela me permet d’évoluer dans mon écriture.

Comme si la nouvelle venait ponctuer différente­s étapes de votre carrière ? Je prends toujours le temps entre deux romans. Et pendant ce temps de réflexion, l’envie d’écrire est parfois là… Et puis on sait aussi que certains sujets ne feront pas un roman noir, mais une bonne histoire courte. Prenez Au revoir les enfants par exemple, cela me semblait difficile d’en faire un roman.

Avec ce texte justement, vous êtes sûrement l’une des premières auteures françaises à utiliser la crise sanitaire dans l’une de vos intrigues... Je crois que l’écriture de cette histoire a effectivem­ent commencé au milieu du confinemen­t. Je voulais, depuis longtemps, aborder la manière dont on traite nos aînés dans notre société. Et une fois la pandémie arrivée, on a parlé des Ehpad à ce moment-là. On a vu toutes les déficience­s de notre société par rapport aux personnes âgées.

La nouvelle, qui fait tristement écho à la situation sanitaire dans le Var ces jours-ci (), est très forte par son personnage principal, une ancienne résistante, déportée à Birkenau… Sans comparer la situation des camps de concentrat­ion et des Ehpad – d’ailleurs, c’est écrit dans le texte –, ce qui me choque dans nos sociétés, c’est le peu d’intérêt que l’on porte à nos personnes âgées, à leur histoire, dès lors qu’elles n’entrent plus dans la case “consommate­urs”. Si je résume : tant qu’elles rapportent de l’argent ça va, quand elles en coûtent, on s’en occupe moins.

Ce deuxième confinemen­t vous paraît plus humain que le précédent sur ce point ? Oui, je pense. J’ai bien imaginé combien c’est important de voir ses proches quand on est en Ephad. Les fermer, en faire des prisons – d’ailleurs le phénomène a été assez similaire dans les prisons où les familles ne pouvaient plus se rendre aux parloirs – a été plus destructeu­r encore que le virus lui-même. J’ai le sentiment qu’aujourd'hui, on a trouvé le juste milieu.

D’autres thèmes liés au confinemen­t, vous donne-t-il envie d’écrire ? Les violences conjugales sont un thème que j’ai abordé plusieurs fois dans mes livres. Lors du premier confinemen­t, on a tous vu avec effroi combien les chiffres ont explosé. Le reconfinem­ent m’a rappelé ce thème dramatique et c’est sans doute celui que je vais explorer à nouveau.

Au revoir les enfants, Un monde parfait. Pourquoi avoir donné à vos quatre nouvelles inédites le titre d’un film ? Je suis très cinéphile et quand j’ai commencé ce recueil de nouvelles, j’avais fait une liste de films – bien plus que quatre ! – (elle rit) .Jemesuisdi­tquesije trouvais un lien entre mes écrits et l’un des titres de ma liste, je l’intitulera­is ainsi. L’idée n’était pas de reprendre la trame du film évidemment, mais de renouer avec quelques petits liens. Dans Un monde parfait par exemple, le seul lien avec le film est qu’Axel, le personnage principal, a manqué d’un père. Dans Au revoir les enfants, le lien est plus fort…

Si l’on excepte Le Vieux Fusil ,ces nouvelles sont très en prise avec les travers de nos sociétés, de l’humain. C’est souvent le cas chez moi, même si j’écris aussi du thriller et du pur suspense. Dans tous les cas, on explore la nature humaine, sa complexité et ses travers. Mais avec le roman noir ou la nouvelle du même genre, on travaille aussi les sujets de société. Cela me donne envie d’aborder des thèmes qui me révoltent, me posent question, comme ces travailleu­rs précaires, pauvres, qui cumulent deux à trois boulots…

Parmi les sujets qui, en ce moment, interpelle­nt il y a la fermeture des librairies... Évidemment en tant qu’auteur, je pense le livre essentiel, plus essentiel même que le téléphone portable. Et au lieu d’ouvrir les librairies sous contrainte­s sanitaires, on ferme les rayons livres des supermarch­és. C’est idiot et en plus, Amazon va se frotter les mains ! Heureuseme­nt, beaucoup de librairies indépendan­tes ont mis en place un service de commande en ligne, que l’on peut aller récupérer.

La cinéphile que vous êtes n’a pas envie d’écrire un scénario ? Je l’ai plus ou moins fait déjà, ces projets n’ont pas encore abouti. Mais je préfère me consacrer à l’écriture de romans noirs. Le roman ou la nouvelle me laisse une grande liberté que je risque de ne pas retrouver pour une production. Mais je ne m’interdis pas de le faire, en fonction du projet.

Vous pourriez suivre l’adaptation d’un de vos ouvrages ? Je n’ai pas suivi celle de Jusqu’à ce que la mort vous unisse – roman adapté pour la télévision – même si je suis allée sur le tournage. J’étais heureuse d’y assister. Après, j’ai quelques projets d’adaptation­s de mes romans ou nouvelles. J’en serai scénariste, ou bien je disposerai d’un droit de regard. Je souhaite valider ce qui sera fait, éventuelle­ment y apporter des modificati­ons. Après, je crois que quand on cède ses droits, il faut accepter le jeu, du moment que l’esprit du texte est conservé. À titre personnel, c’est tout ce qui m’importe.

On retrouve également dans ce recueil, des nouvelles écrites auparavant, dont celles publiées dans  à table au profit des Restos du coeur. Allez-vous renouveler l’expérience ? Cette année je ne pouvais pas y participer car j’étais déjà en train d’écrire les nouvelles de Chambres noires quand on me l’a proposé. Dès l’an prochain, j’y reparticip­erai.

C’est là encore un exercice différent... Oui, car on a des contrainte­s à suivre : thème, nombre de signes imposés. C’est encore plus délicat de parvenir à s’y exprimer, mais toujours aussi plaisant. D’autant plus au regard de l’importance de la cause à défendre. Cependant, je trouve que c’est moi qui aie de la chance. La chance que l’on me propose, chaque année, d’écrire une nouvelle pour les Restos du coeur.

Fermer les Ehpad a été plus destructeu­r que le virus”

1. Onze personnes âgées sont décédées ces dernières semaines dans un même Ehpad.

 ??  ?? Chambres noires. Karine Giébel. Éditions Belfond.  pages. 
Chambres noires. Karine Giébel. Éditions Belfond.  pages. 

Newspapers in French

Newspapers from France