Var-Matin (Grand Toulon)

« Nous sommes juste des marins qui pratiquons notre passion »

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Après quelques péripéties, vous voilà enfin au départ du Vendée Globe. Êtes-vous soulagé ?

Oui, je suis même heureux. Dans l’absolu, à part les très grosses écuries, je pense que c’est toujours une victoire d’arriver à prendre le départ du Vendée. Lorsque, comme moi, tu n’es pas un pilote, que tu es le chef de projet et que tu pars au front pour chercher de l’argent et façonner la partie technique, c’est un vrai succès. C’est juste top d’être là après tout ce qu’il s’est passé, l’incendie, la crise de la Covid… Être au départ est une belle histoire.

L’incendie de votre premier monocoque date d’il y a un an quasiment jour pour jour au Havre (le  octobre ). Y pensez-vous encore ?

Oui, [l’incendie] est gravé pour un moment. C’était un vrai revirement de situation comme on en vit peu dans sa vie. Mais j’ai fait un gros travail là-dessus cet hiver. Tout cela est derrière moi.

Vous partez avec un Imoca rebaptisé et complèteme­nt retravaill­é. Avez-vous toujours cru en votre qualificat­ion ?

J’ai de la chance avec Érik (Nigon), qui me prête son bateau (ex- Vers un monde sans

sida) et me donne des conseils, avec Julie (Rocher) et toute l’équipe qui me dégage du temps, les nouveaux partenaire­s qui nous ont soutenus les yeux fermés… Tous ont mis de l’intelligen­ce dans le bateau et notre démarche. C’est génial. On a fait comme si on était profession­nel, et on s’aperçoit qu’on l’est. Tout le monde a bien travaillé, a fait énormément de concession­s. Je pars dans de bonnes conditions. Le bateau est beau, il va bien, tout est réuni pour faire un beau Vendée.

C’est aussi l’un des plus âgés de la flotte…

Oui, c’est le plus vieux de la série des Vendée . Ce n’est pas le plus abouti, pas celui qui gagnera la course. Mais il est costaud, il a fait une belle place au dernier Vendée (Louis Burton a fini e), même s’il y avait moins de concurrent­s et de foilers. C’est un bateau que j’ai apprivoisé pendant onze jours dans la Vendée Arctique.

Sur quoi avez-vous travaillé lors de sa mise en chantier ?

On a modifié beaucoup de choses, avec lesquelles je ne me voyais pas partir. Il est un plus léger, on a changé la quille, le bulbe, les safrans, les voiles, les profils, les systèmes, les ballasts… On aurait aimé en faire plus mais c’est déjà beaucoup. Le bateau est plus typé Vendée, il est plus sur le cul comme on dit [rires]. Il lève un peu plus le nez quand on navigue, il est vraiment agréable à piloter. J’ai hâte de reprendre la barre.

Le timing a dû être super serré depuis

votre arrivée aux Sables-d’Olonne. Comment vous sentez-vous ?

Tout va bien, je suis en confinemen­t depuis quinze jours (il est arrivé en Vendée

le  octobre, Ndlr) pour ne pas prendre de risque et passer du temps avec ma femme et mes enfants avant le départ. Ici, on est dans une bulle, on est tous testés

[par PCR et sérologiqu­e, Ndlr] deux fois par jour. Et on n’a pas le droit de voir des gens de l’extérieur. Heureuseme­nt, j’ai une équipe qui s’occupe très bien des sollicitat­ions médiatique­s.

Vous vous préparez à plus de  jours de course au large, quelle a été votre préparatio­n ?

Physiqueme­nt, ça a été le chantier ces derniers temps [rires]. Mais là, je recommence à courir, je le fais assez simplement, j’ai la chance d’avoir une bonne constituti­on. Je ne force pas trop sur la machine parce que ces derniers mois ont été très actifs et j’avais besoin de me reposer. La voile est un sport de maturité, il faut tenir. Quand je vois aujourd’hui les skippers comme Alex Thomson, j’avais une idée de mecs balaises… En fait, tout le monde est super fit, à l’image des coureurs de très long trail. On est davantage des singes que des golgoths.

Comment avez-vous travaillé le renforceme­nt mental ?

Depuis l’incendie, j’ai suivi un traitement spécialisé avec la réflexolog­ue Mallorie Orsi-Faissolle, dans son cabinet L’Elémen’Terre au Pradet. On a fait un super travail psychologi­que sur-mesure, en profondeur, avec une base d’huiles essentiell­es, afin de renforcer en défaisant le fil de ce qu’il s’était passé. C’était hyper intéressan­t car il a fallu éteindre le feu, calmer et remobilise­r. C’est bien, je me sens vraiment armé.

Vous êtes le skipper qui a bouclé votre projet le plus tard avant la date limite. Partir, c’est donc une forme de reconnaiss­ance ?

Oui, l’organisati­on du Vendée a été extra et nous a fait confiance, vu qu’on n’avait jamais rendu aucun élément administra­tif en retard. Et mes partenaire­s-titre [La Compagnie du Lit et Jiliti] ont été excellents. Ils m’ont vraiment donné les clés du camion. Ils ont refusé que je ne parte pas en fait [rires ]!

Avez-vous vraiment craint de ne pas pouvoir vous aligner ?

Oui, car ça s’est joué assez tardivemen­t. La Compagnie du Lit, un des plus grands fabricants européens, est un habitué du Vendée puisqu’il a déjà sponsorisé Stéphane Le Diraison il y a quatre ans. Mais alors qu’il ne devait pas repartir cette année, il sera présent physiqueme­nt sur mon bateau avec un lit conçu sur-mesure. Jiliti est une entreprise référence européenne dans la maintenanc­e des data-centers qui débarque sur le Vendée, mais sa présence dans plus de  pays fait que cette course à l’internatio­nal l’intéressai­t aussi. De plus, technologi­quement, son expertise des systèmes embarqués a été déterminan­te.

Allez-vous partager les valeurs de l’écologie qui étaient au coeur de votre premier projet ?

Oui, mais pas aussi haut que je l’aurais souhaité. Je voulais à la base porter un message de défense de la nature sur les chantiers. Là, je n’ai pas un message environnem­ental particulie­r, et à dire vrai beaucoup d’autres équipes le font bien mieux que moi. Nous, on porte davantage un message sociétal et humain avec des valeurs assez simples, autour du partage. Comme l’année dernière où on a fait naviguer  personnes à Toulon au départ du Yacht-club… Nous sommes juste des marins qui pratiquons notre passion.

Les bateaux de nouvelle génération, dotés de foils, sont bien plus rapides aujourd’hui. Pensez-vous que cette chasse au record contribue à faire rêver le public ?

Je ne sais pas. Je pense qu’il y a plusieurs catégories de skippers. Moi, j’aimais toujours regarder les belles trajectoir­es, bien tirées entre les systèmes météo, davantage que la vitesse ou le placement. Cette vitesse fait rêver, mais elle peut aussi être source d’anxiété dans cette vie qui va toujours à … J’adore la technologi­e, je ne jalouse pas les foilers, mais ils sont vraiment extraordin­aires. Ça va très très vite, c’est une autre façon de naviguer, tu es plus sur le frein. Quand je suis à  noeuds, ils sont à  ! Ce type de bateau n’accepte pas toujours que tu baisses le pied. En revanche, d’autres unités vont moins vite mais « allument » un peu plus. Mais comment cela va se terminer ? Je pense qu’il va se passer des choses… C’est un peu mon inquiétude, j’ai peur qu’il y ait de la casse. Je ne voudrais pas aller chercher des skippers en mauvais état.

Il a fallu éteindre le feu, calmer et remobilise­r”

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