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À la veille des annonces d’Emmanuel Macron, le Pr Michel Carles, chef du service d’infectiologie du CHU de Nice, prône un renforcement de la pédagogie et un allègement de la coercition
Le professeur Michel Carles dirige le service d’infectiologie du centre hospitalier universitaire(CHU) de Nice.
Quel bilan de gestion de la crise peut-on établir à ce stade en France ?
Il est évident que nos réponses pour maîtriser l’épidémie sont imparfaites. Elles sont peu efficientes : le développement de la deuxième vague nous a démontré s’il en était besoin, que les mesures mises en place lors du déconfinement, la pédagogie et l’appel à modifier nos comportements sociétaux afin de contenir la circulation virale, ont été mises en échec. D’où ces réponses coercitives difficilement acceptables et l’incapacité d’envisager aujourd’hui d’autres solutions que le reconfinement.
Des espoirs avec un vaccin ?
Un sondage Ipsos a révélé que parmi les quinze principaux pays touchés par l’épidémie, la France a le taux le plus bas d’acceptation d’une possible vaccination antiCovid efficace ( %), derrière les USA ( %). À titre de comparaison, la population chinoise, outre sa participation à % à une campagne de dépistage de masse, accepte de surcroît à plus de % le futur vaccin – probablement de façon plus ou moins volontaire.
Il sera difficile me semble-t-il de contraindre la société française à aller là où elle ne veut pas aller.
Comment voyez-vous l’avenir ? D’aucuns avaient préconisé l’attitude de dépistage de masse, d’isolement et de modifications des comportements comme le seul moyen d’éviter de figer la société, mais il est clair que nous n’avons pas les moyens du dépistage de masse tel que la Chine le réalise. Et, au-delà des moyens, nous n’avons probablement pas le désir de modifier nos comportements : la société chinoise ne semble pas souffrir de se plier à des injonctions sécuritaires (vaccinezvous, dépistez-vous, éloignezvous) alors que pour la société française et, à des degrés variables, pour toutes les sociétés occidentales, ce type d’évolution signifierait perte d’identité, perte de culture, perte de sens – on voit d’ailleurs des manifestations anticonfinement se multiplier en Europe. À partir de là, ne devonsnous pas accepter notre destin ?
Qu’entendez-vous par là ?
Pour ne pas tourner le dos à nos valeurs et nos modes de vie, nous devons renoncer à avoir un contrôle parfait de l’épidémie qui est une maladie dont la dangerosité repose sur le très grand nombre de sujets atteints, mais dont le taux de létalité est proche de celui de la grippe. Et de le vouloir ensemble, si nous décidons de faire face aux conséquences de nos choix.
Mais il reste ce problème de saturation des services de réanimation ?
Cette situation n’est pas seulement liée à l’afflux de malades, mais aussi au nombre insuffisant de lits. Notre système de santé actuel n’est pas à même de répondre à la crise que nous traversons. C’est la question de la priorisation qui est ici posée. Qu’est-ce que notre société, moins riche qu’il y a trente ans, souhaite prioriser ?
Tout cela signifie-t-il que nous avons perdu la bataille contre la Covid- ?
Non, il ne faut surtout pas baisser les bras. Nous devons nous donner les moyens de sauver nos modes de vie, notre liberté et agir pour que les conséquences soient les moins lourdes possible. Sachant que nous ne voulons pas de coercition – nous ne vivons pas sous un régime autoritaire – il faut faire le plus possible de pédagogie. Et ce travail n’incombe pas aux médecins qui sont des scientifiques et pas des communicants.
Emmanuel Macron s’exprimera demain. Qu’espérez-vous ? J’attends un renforcement des mesures de prévention, de la pédagogie, toujours plus, et de l’entraînement des populations, pour un allègement des mesures de coercition. Sachant que les lieux de contamination sont surtout le milieu professionnel et le cercle familial, il faut prendre des mesures plus fortes dans ces domaines, je pense en particulier au télétravail. Il vaut probablement mieux laisser les petits commerces ouverts que pousser tout le monde à s’agglutiner dans les grandes surfaces. Il vaut mieux laisser les restaurants ouverts avec des règles très strictes de distanciation que tuer notre art de vivre.
PROPOS RECUEILLIS PAR