Le procès « Charlie Hebdo » de nouveau suspendu : une audience dans l’audience
Drôle d’ambiance pour une reprise. Hier matin, dans un palais de justice sécurisé comme jamais, le procès de Charlie Hebdo, interrompu depuis trois semaines, a de nouveau été suspendu jusqu’au lundi 30, en attendant que l’accusé Ali Riza Polat - testé positif au virus de la Covid19- soit rétabli. Les experts médicaux, diligentés à son chevet durant le week-end, estiment qu’il sera sur pied à la fin de cette semaine.
Le président de la cour d’assises, Régis de Jorna, avait dans un premier temps envisagé une reprise hier matin, avec un accusé en visioconférence. L’ordonnance du 18 novembre prise par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, dans le cadre de la loi d’habilitation liée à la crise sanitaire, lui en donnait la possibilité, sachant que l’accusé n’avait plus à intervenir à ce moment de l’audience, réservé aux plaidoiries. La signature de cette ordonnance, vivement contestée durant le week-end par les représentants des avocats, qui ont depuis saisi le Conseil d’État pour en contester la validité, a pris une telle ampleur que l’ambiance était plus que tendue hier matin au palais de justice de Paris. Soucieux de calmer les esprits, le président a tenu à préciser qu’il n’avait jamais décidé de s’appuyer sur cette ordonnance, mais qu’il « avait seulement envisagé pouvoir le faire ».
Le garde des Sceaux dans le box des accusés
Particulièrement remontés, les avocats de la défense ont eu vite fait de placer leur ancien confrère Dupond-Moretti dans le box des accusés, en vertu du « non-respect des lois de la République ». Ainsi, Me Coutant-Peyre, avocate d’Ali Riza Polat, juge que « ce qui s’est passé au Conseil des ministres mercredi 18 novembre est un coup d’État, un coup d’État organisé avec Éric Dupond-Moretti et Monsieur Emmanuel Macron, qui a signé ».
Et d’insister :
« “Acquitator” [surnom de DupondMoretti dans la magistrature] aoublié qu’un accusé devait être là, physiquement, et pas en visioconférence depuis son cachot, ce notamment pour pouvoir communiquer librement avec son avocat. »
Après que l’avocate Marie Dosé ait affirmé que « pour sauver ce procès, il fallait faire sortir le pouvoir exécutif de cette salle », sa consoeur Me Safya Akorri a prévenu que plusieurs avocats quitteraient la salle si la visioconférence était finalement autorisée. Suspecté d’avoir sollicité cet ordonnance, le procureur Jean-Michel Bourlès, avocat général, supporte mal ce soupçon de soumission au pouvoir exécutif : «Le Parquet n’a pas été demander nuitamment cette ordonnance au ministère ! Cette mesure (la comparution d’un accusé en visioconférence) a été prise parce qu’il convient d’éviter de suspendre sans fin une audience ou de la renvoyer à une session ultérieure. M. Polat a pu assister à la majorité des débats, interroger les témoins, parler avec son avocate. Dans la phase qui vient, sa présence physique ne me paraît pas essentielle. » Conscient de la pression, il a cependant admis le principe d’un nouveau report, «à condition que soit le dernier ». Également soucieux de préserver la bonne tenue du procès, et surtout de le mener dignement à son terme, les avocats des victimes ont à leur tour exprimé le souhait d’un report. « « Ce procès est regardé dans le monde entier. Si on n’est pas à la hauteur des enjeux, nous serons tous responsables d’un échec. Les parties civiles, les avocats, la cour, les accusés, tout le monde veut en finir », a plaidé Me Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo. Tous se retrouveront donc le lundi 30, pour la dernière ligne droite d’un procès qui a débuté le 2 septembre dernier.