L’Otan reste le seul outil militaire de gestion de crise
Bien qu’affaiblie par certains de ses membres, Turquie en tête, l’Alliance atlantique a toute sa place dans un monde aujourd’hui plus complexe que du temps de la guerre froide
Il y a tout juste un an, le président de la République Emmanuel Macron jetait un pavé dans la mare en déclarant l’Otan « en état de mort cérébrale ».
Qu’en est-il vraiment ?
Une semaine après l’organisation à Toulon d’un colloque sur l’Alliance atlantique, nous avons posé la question à l’amiral Pascal Ausseur et à l’expert en géopolitique Pierre Razoux, respectivement directeur de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) et directeur académique de l’institut FMES.
L’Otan a-t-elle encore une utilité depuis la chute de l’URSS ? Pascal Ausseur : En regroupant l’Europe et les États-Unis, l’Alliance atlantique avait pour mission de lutter contre l’Union soviétique et les pays du Pacte de Varsovie. Il est clair qu’avec la fin de la guerre froide et des vingt-cinq ans unipolaires qui lui ont succédé, l’Otan doit se réadapter au contexte actuel, à ce monde moins manichéen, plus complexe dans lequel nous vivons et qui nécessite une plus grande subtilité. Elle y arrivera si les Américains qui en sont les leaders y mettent toute leur énergie. Tout en sachant qu’elle a désormais un caillou dans sa chaussure : la Turquie qui est à la fois indispensable et source de problème.
Justement, l’Otan peut-elle faire confiance à la Turquie d’Erdogan ?
Pierre Razoux : Elle n’a pas vraiment le choix. La Turquie occupe une position géographique incontournable en Méditerranée et en mer Noire, autrement dit sur le flanc sud de l’Alliance atlantique. Outre le fait que c’est juridiquement impossible, sortir la Turquie de l’Otan ne ferait qu’affaiblir davantage l’Europe face à la Russie et la Chine. La Turquie, qui a compris notre nouveau monde, le sait et elle en joue. Elle a choisi le bon moment, alors que les USA étaient en plein processus électoral, pour tester la cohésion de l’Otan. Sa fiabilité vis-à-vis de l’Alliance n’est pas totale, pas plus que ne l’est celle des États-Unis d’ailleurs, mais c’est comme cela. Il faut que l’Europe accepte que les alliances, les intérêts puissent désormais varier en fonction de la situation.
Qu’arrivera-t-il si deux alliés – au hasard, la Grèce et la Turquie – en venaient aux mains ?
P. R. : C’est déjà arrivé dans les années , et même . Et à chaque fois les Américains ont tordu le bras des uns et des autres pour calmer les tensions, taire les disputes face à l’adversaire commun de l’époque : l’URSS. Et ça reste la force de l’Otan. Outre le fait d’être un outil d’intégration et d’interopérabilité sans égal au point que même les pays nonmembres sont en quête de partenariats, l’Otan est aussi un outil militaire de gestion de crise sans égal aujourd’hui.
Faut-il attendre un changement de comportement des USA avec Joe Biden ?
P. A. : Dans le style, il y aura forcément des changements. Sur le fond également pour les quelques dossiers qui importent politiquement à Joe Biden comme le réchauffement climatique ou l’Iran. Mais n’oublions pas que la marginalisation de l’Europe, l’affaiblissement du multilatéralisme, l’usage de la puissance désinhibée ou encore le désintérêt des États-Unis pour le bassin méditerranéen au bénéfice de l’Asie n’ont pas commencé en . C’est une tendance lourde que Trump n’a fait qu’accélérer.