Conte halluciné des bas-fonds
Le troisième roman de Gauz nous embarque dans le Belleville des années 1990, avec ses squats et ses personnages hors norme, à travers les yeux d’un junkie ivoirien fraîchement débarqué.
Livre après livre, Armand Patrick Gbaka-Brédé creuse son sillon. Son nom de plume, Gauz, tient en quatre lettres. Son style est aussi concis. En quelques mots, l’Ivoirien âgé de 49 ans imprime un rythme, une petite musique, dans notre esprit. Invité de l’émission De vive voi (x), sur RFI, en septembre dernier, l’auteur expliquait comment sa vocation est née.
« J’ai décidé de devenir écrivain après avoir lu (Ahmadou) Kourouma et (Louis-Ferdinand) Céline dans la même semaine. Une semaine fantastique. J’ai lu Le Soleil des indépendances et Le Voyage au bout de la nuit.
J’ai pris une claque. J’ai compris qu’on pouvait s’approprier la langue, en faire ce qu’on voulait, la manipuler dans le sens de ses idées. Sans forcément rester dans le grand classicisme des Zola, Hugo. »
Marabout-Bakar, le Canonnier et Lass Kader
En quelques phrases, il donne forme à des personnages qu’on croirait défiler sous nos yeux. Un peu comme quand on était encore un minot qui attendait son histoire du soir pour s’écrouler sur l’oreiller. Sauf que chez Gauz, on n’a pas vraiment l’impression d’atterrir dans un conte de fées. Son premier roman, Debout-payé , racontait le quotidien d’un sans-papiers devenu vigile chez Camaïeu et Séphora. Black Manoo, présenté deux ans après le roman d’apprentissage Camarade Papa, raconte l’arrivée d’un junkie africain à Paris. Comme le lui a recommandé Marabout-Bakar, «féticheur, multiguérisseur, spécialiste en fortune », il est vêtu de rouge, de la tête aux pieds, pour conjurer le sort. Pour ses faux papiers, Black Manoo a fait confiance au Canonnier. La huitième tentative sera la bonne. Entre bitume et béton, il débarque dans la moiteur d’un 15 août. Il est en manque, il lui faut sa dose de crack.
À la place, il va trouver une « bonne fée ». Voici Lass Kader, une vieille connaissance. Le garçon, un dealer au planter de couteau facile, était donné pour mort. Il est bien là, reconverti dans... la lutte antidrogue.
Le Danger et Le Sans Issue
Black Manoo se retrouve au Danger ,oùdes noirs en galère partagent l’espace avec des gauchistes et anars blancs. Entre coups de gueule et coups de poing, on se serre quand même les coudes.
Plus tard, Black Manoo entrevoit une petite porte de sortie. À l’arrière-cour d’une épicerie exotique, il ouvre une gargote, où l’on se délecte de cous et de pattes de poulet. Il la nomme Le Sans Issue. Une autre enclave pour les prolos, les migrants et les originaux. Le tout baigne dans une douce ironie instillée par Gauz. Avec cette galerie de portraits, il parvient à porter un regard intéressant et un brin nostalgique sur ceux qu’on ne regarde jamais.