Var-Matin (Grand Toulon)

Yann Queffélec l’écume de Flo

Dans La Mer et au-delà, récit tragique et vibrant, Yann Queffélec se remémore Florence Arthaud, sa « soeur d’affinités ». Et fait revivre cette Antigone indomptée dans un dialogue intime, d’une force et d’une émotion exceptionn­elles.

- LAURENCE LUCCHESI llucchesi @nicematin.fr

Qui a tué Florence Arthaud le 9 mars 2015 ? Ses démons ? L’alcool ? La misogynie des puissants ? Le hasard d’un accident aérien dans le ciel d’Argentine ? C’est à partir de tous ces questionne­ments que Yann Queffélec (prix Goncourt en 1985 pour Les Noces Barbares) nous replonge, avec La Mer et au-delà, dans les souvenirs d’enfance, de mer et de famille de la navigatric­e. Un récit captivant, qui depuis les sommets de la gloire, avec la victoire de la route du Rhum en 1990, jusqu’aux souffrance­s abyssales endurées parfois par Florence Arthaud, nous entraîne dans un flot de sensations au goût iodé. On en ressort essoré, mais bouleversé.

Comment allez-vous ?

Très bien, sauf que j’ai le mal de mer en ce moment, avec ce ballottage horrible de l’actualité, covidienne et autre.

Douze ans après avoir écrit un livre en hommage à Éric Tabarly, vous persistez et signez avec ce récit sur Florence Arthaud. Que représenta­it-elle pour vous ? Florence était un personnage. Je ne la connaissai­s pas tant que ça mais je l’aimais bien. Quand elle a eu cet accident d’hélicoptèr­e, j’ai été infiniment choqué, comme si j’étais davantage dans l’intimité de sa personne.

C’est ce qui vous a décidé à reprendre la plume ?

Je me suis rappelé que je perdais une sorte de soeur, et un personnage dont j’attendais qu’il me parle davantage. En tant que romancier, j’aime fouiller dans les recoins de la personnali­té d’un individu. Ce qui m’intéressai­t, c’était de l’évoquer comme personne admirable, de lui redonner une mémoire, et de brosser la complexité de cette figure romanesque.

Pourquoi ce titre,

La Mer et au-delà ?

Il allait de soi. Florence a été victime d’un accident de voiture au début de sa vie, dont elle a réchappé, puis d’un autre qui lui a été fatal. Et entre les deux, il y a eu tous ces horizons dont elle s’est approchée au risque de se perdre. Elle aurait pu mourir dix fois. On a l’impression qu’elle visait la mer et au-delà. Elle était dans cette fascinatio­n d’un extrême qui peut vous anéantir.

Notamment en se retrouvant en rupture avec sa famille ?

Elle était folle de son père mais a fini par se brouiller avec lui, parce qu’elle est devenue ce qu’il souhaitait qu’elle ne devienne jamais : non seulement un marin mais une femme un peu trop libre à son goût ! Les journaux faisant leur une sur cette Florence Arthaud qui avait un fiancé dans chaque port, l’auteur de ses jours a fini par lui demander de changer de nom.

Et ce choix de couverture rose, était-ce une forme de clin d’oeil aux bottes en caoutchouc qu’elle affectionn­ait tant ?

Tout à fait ! Ce sont les fameuses bottines qu’elle a retirées quand elle était tombée à la mer au large de la Corse. Et dont elle a eu du mal à se déchausser parce qu’elle était coquette comme pas permis.

N’y avait-il pas une dichotomie entre cette coquetteri­e et son côté baroudeur, icône du féminisme ?

Oui, elle était à la fois une sorte de mégère de l’Océan, de femme un peu mec en rivalité permanente avec les autres hommes de mer, qui étaient des machos au sens naturel. Pour eux, la mer c’était une affaire de mecs, les femmes, on les retrouvait dans les ports pour s’en amuser. Florence se mesurait d’égale à égal à tous ceux qu’elle défiait sur l’eau, tout en ayant ce côté un peu minette, presque pimbêche. Cabotine, elle aimait bien jouer sur ce double personnage de loup de mer et de petite fée.

Vous écrivez qu’elle a souffert de cette phallocrat­ie naturelle au milieu nautique, tout en aimant les hommes ?

Elle aimait la virilité des machos ! Le mec mal rasé, musclé, un peu voyou, voire violent. Il suffit de voir Jean-Claude Parisi, l’un de ses grands amours, qui se lavait les dents à l’Ajax.

C’était ahurissant pour cette fille qui venait de la haute, d’avoir choisi cet homme des bois en essayant de l’imposer comme gendre à sa famille. Et elle détestait le machisme en même temps. Elle estimait que les hommes avaient tort de ne pas considérer les femmes comme des marins comme les autres.

Elle a réussi à retourner ses homologues ?

En effet, mais on peut dire que ça lui a coûté la vie. Car ce milieu nautique, qui a essayé de la marginalis­er jusqu’à ce qu’elle remporte la route du Rhum, mystérieus­ement par la suite, lui en a voulu. Les mécènes qui auraient dû lui faire des ponts d’or pour lui construire les bateaux auxquels elle avait droit ne l’ont pas fait. C’est à ce moment-là qu’elle a commencé à souffrir de cet antifémini­sme, qui n’était d’ailleurs pas propre qu’aux gens de mer mais aussi à l’ensemble de la société.

Aujourd’hui de plus en plus de navigatric­es s’inscrivent dans le sillage de cette pionnière ?

On ne le dit pas suffisamme­nt. On se souvient d’elle comme de la petite fiancée de l’Atlantique mais on oublie que, grâce à elle, il y en a eu beaucoup d’autres, de fiancées, depuis ! Et juste avant sa participat­ion à Dropped, Florence avait d’ailleurs un projet de course de femmes en Méditerran­ée.

‘‘ Àlafois loup de mer et petite fée, elle en jouait”

‘‘ Le milieu nautique a essayé de la marginalis­er”

Elle avait fait ses armes sur cette Méditerran­ée chère aux Arthaud ?

Oui, ils avaient une maison à Sainte-Maxime, Florence y a fait ses premières régates avec son frère Jean-Marie, qui lui avait révélé l’extraordin­aire sens du vent qu’elle possédait, c’était une magicienne ! Et elle avait fini par s’établir à Marseille. Elle rêvait d’aller au Cap de Creus en Espagne, et d’y écrire ce qu’elle pensait de la vie, du monde et dire tout le bien qu’elle pensait de sa famille.

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 ??  ?? La Mer et au-delà. Yann Quéffelec. Calmann Levy.  pages. , €.
La Mer et au-delà. Yann Quéffelec. Calmann Levy.  pages. , €.

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