Coronavirus et engelures : le mystère dévoilé
Intriguée par la superposition du pic épidémique et l’incidence inhabituelle de cas d’engelures, une équipe de médecins et biologistes niçois, sous la houlette du Pr Passeron, a mené l’enquête
On est au mois d’avril 2019. La France est confinée, il s’agit d’enrayer la progression du coronavirus. Le service de dermatologie du CHU de Nice – qui a maintenu ses activités de recours – se voit soudainement adresser par des médecins urgentistes et des homologues de ville des patients présentant des lésions de type engelures au niveau des extrémités. Des lésions cutanées généralement associées au froid et donc plutôt surprenantes en cette période de l’année. « Dans nos climats, on en voit rarement en hiver et jamais au printemps. Là, en l’espace de 15 jours, on a vu arriver une quarantaine de patients et avons été contactés pour plus de 60 patients », se souvient le Pr Thierry Passeron. Le phénomène va intriguer ce spécialiste, d’autant plus que ce pic d’incidence d’engelures se superpose étrangement au pic épidémique de Covid-19. Autre fait marquant : l’âge des patients. « Ils avaient 26 ans en moyenne et hormis ces engelures, ils se portaient plutôt bien. » Existe-il un lien direct entre ces engelures et la Covid-19 ? Le Pr Passeron en a l’intime conviction. Mais pas de preuve.
Pas de traces du virus
En collaboration avec ses collègues de spécialités diverses (dermatologues, anatomopathologistes, réanimateurs, immunologistes, biologistes du CHU et des laboratoires Cerba, infectiologues, médecins vasculaires et urgentistes), il décide alors de soumettre (avec leur accord) ces patients à une série d’examens pour rechercher un lien potentiel avec la Covid-19 : test RT-PCR évidemment, sérologie, analyse biologique, biopsies cutanées, analyse des réponses immunitaires. Les premiers résultats seront plutôt déroutants : « Tous les patients qui s’étaient présentés avec ces lésions cutanées se sont révélés négatifs pour ce qui concerne le test PCR de détection du virus. Et seulement 30 % d’entre eux avaient une sérologie positive (signifiant qu’ils avaient bien été en contact avec le virus). Parmi ceux-là, une majorité présentait des IG A (immunoglobulines A), signature d’une contamination récente. » L’équipe de scientifiques ne se décourage pas. Guidée par son intuition première, et s’appuyant sur certains faits déjà connus – «les personnes en bon état général et qui font une forme peu voire asymptomatique de la Covid ne développent pas d’anticorps ou seulement de façon transitoire » – elle va poursuivre ses investigations en analysant la réponse immunitaire de ces jeunes malades.
Et c’est là qu’elle va faire une découverte intéressante.
Une (trop) bonne réponse immunitaire au virus
« De façon générale, plus on est jeune, plus la réponse immunitaire dite innée (lire ci-dessous) – première ligne de défense contre les virus et les bactéries — est efficace, introduit le Pr Passeron. C’est la raison pour laquelle il n’existe quasiment pas de formes graves de la Covid-19 parmi les plus jeunes ; ils se débarrassent très bien du virus.
Et on a mis en évidence que tous les patients atteints d’engelures avaient en commun de présenter une excellente réponse immunitaire innée. »
Une défense presque excessive dans leur cas. « L’apparition d’engelures est liée au fait que la réponse immunitaire innée s’emballe un peu, comme l’attestaient leurs taux élevés d’une cytokine impliquée dans cette réponse, l’interféron de type 1. On retrouve d’ailleurs ce même type d’engelures, avec une tendance à nécroser et faire des bulles, chez des personnes atteintes par une maladie génétique héréditaire, associée à une activation incontrôlée de la réponse innée. » Confortant leur hypothèse, les scientifiques vont découvrir, en évaluant la réponse innée chez des patients atteints de formes modérées de la Covid-19 et des malades en réanimation, que ce taux d’interféron diminue avec la gravité de la maladie. « Il était très élevé chez les personnes souffrant d’engelures, un peu moins chez les malades présentant des symptômes mineurs, et pratiquement nul chez les malades les plus graves. »
Alerter mais rassurer
Un faisceau d’indices qui, sans constituer de preuves, ont permis à cette équipe de proposer le scénario suivant : « Les jeunes malades ont une excellente réponse innée qui leur permet de se débarrasser très vite du virus. À l’inverse, les patients qui font les formes les plus sévères n’ont pas une bonne ligne de défense contre les virus. Ils utilisent alors une deuxième ligne de défense dite adaptative, et chez certains, des quantités excessives de cytokines vont être produites. D’où cet orage cytokinique responsable des atteintes très graves ». Ces découvertes, publiées dans la meilleure revue de dermatologie, fournissent des informations clés pour la prise en charge des malades. La principale d’entre elles a vocation à alerter, tout en rassurant : « Les personnes qui présentent ces engelures doivent se signaler, ces atteintes pouvant signifier qu’elles sont porteuses de la Covid19. Mais cela signifie aussi qu’elles font une forme mineure, associée à un pronostic rassurant et évoluant favorablement en quelques semaines ! »