Souad Guesmi : « L’oeuvre d’Henri Firn continue »
Un an après le décès de l’éleveur, emporté par les inondations à Saint-Paul-en-Forêt, celle à qui il était en train de transmettre l’exploitation a relevé le défi. Elle lui rend hommage
T «ous les jours je pense à Henri. Parfois, je lui dis en regardant le ciel : ‘‘Regarde tes brebis, elles me rendent chèvre !’’ » Ces propos, spontanés et plein d’humour, sont de Souad Guesmi. Elle évoque Henri Firn, un éleveur de 63 ans, mort sous ses yeux il y aura un an demain, le 1er décembre 2019 (lire ci-dessous), dans son 4x4 emporté par une rivière, l’Endre, devenue torrent à Saint-Paul-en-Forêt. Depuis plusieurs mois, il avait entamé les démarches pour lui transmettre son exploitation. Un défi qu’elle a relevé avec courage, bénéficiant d’un élan de solidarité au-delà du milieu pastoral. D’ailleurs, elle n’a accepté cette rencontre en vue d’un article «que pour rendre hommage à Henri et remercier tous ceux qui m’ont aidée ».
« Ses brebis et ses chiens c’était tout pour lui »
Tous deux ont été mis en relation par le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée (Cerpam).
Souad était éleveuse à Plan-d’Aups mais voulait en partir à cause de l’urbanisation et du tourisme de masse, qui a explosé lorsque la Sainte-Baume est devenue parc naturel régional. Henri, qui devait prendre sa retraite en novembre 2020, cherchait depuis longtemps quelqu’un pour prendre la relève.
Ses méthodes et l’attachement qu’il avait pour ses animaux le rendaient très exigeant.
« On s’est rencontré en février 2019, se souvient-elle. Ses brebis et ses chiens, c’était tout pour lui. Ce sont des Mérinos de l’Est, une race à très grosse conformation viande, très résistante au froid et à la chaleur. Il a sélectionné pendant 30 ans et fait un travail sylvopastoral (bois, forêt, plaine) exceptionnel, qui a servi de référence à l’INRA pour une étude technique. Moi, j’avais des Mourérous, on les a regroupées ensemble en juillet. Il travaillait sur plus de 1 000 hectares, toutes surfaces confondues, ONF, communales et privées. Il m’en a fait faire le tour. Aujourd’hui, j’en ai 800. » Outre les démarches administratives pour finaliser la transmission, elle a mené un combat technique pour assumer ce beau troupeau de 730 bêtes.
« Il y a eu des moments difficiles, en février quand je transhumais », confie-t-elle. Comme lui, elle change de pâturage tous les quinze jours à trois semaines.
Elle est aussi à la tête du groupement pastoral de l’Infernet, que l’éleveur gérait à La Grave (HautesAlpes) depuis des années. «Il m’avait demandé de reprendre le flambeau même à la montagne. Ils m’ont fait confiance. »
« Il n’a pas eu le temps de tout me montrer »
Henri Firn, qui avait quitté son Alsace natale pour les paysages méditerranéens à l’âge de 24 ans, était un pâtre connu et respecté, un amoureux de la nature et un homme au grand coeur.
« Il m’a transmis beaucoup de choses, mais n’a pas eu le temps de tout me montrer », relève Souad. Malgré les obstacles, elle a tenu bon, avec une idée en tête : « Tenir la promesse que je lui avais faite, respecter ma parole. J’ai racheté le troupeau, le portefeuille des surfaces. Ce qui m’importe, c’est que la volonté d’Henri soit respectée. Son oeuvre continue. J’ai vécu une expérience incroyable, malheureuse et heureuse. Henri, c’est quelqu’un qui compte pour moi. Partout où je passe, il y a de lui, et j’espère que là où il est, il le voit ».