L’ascension familiale d’EMR
Cent ans et toujours indépendant. L’ascensoriste niçois continue de s’élever en faisant des cabines de véritables objets d’art et en se spécialisant dans l’installation dans l’existant
1920-2020. L’ascensoriste niçois EMR fête cette année ses 100 ans. Pas toujours facile dans un secteur dominé par des grands groupes comme Otis ou Schindler de tirer son épingle du jeu. Pourtant, la PME azuréenne qui emploie cent salariés fait mieux que résister. Celle qui a dans son ADN l’amour du travail bien fait et l’écoute de ses clients s’est spécialisée depuis quelques années dans le sur-mesure. Que ce soit en réalisant des cabines d’ascenseur, véritables oeuvres d’art ou en installant des ascenseurs dans de l’existant, immeubles comme villas. Cette expertise attire régulièrement la convoitise des grands groupes qui ont une offre plus standard et qui aimeraient bien unir leur destinée à celle de cette pépite numéro 1 régionale. « Mais non, pas de mariage, je suis une célibataire endurcie et veux rester indépendante », s’amuse Sylvie Wohlgemuth, sa gérante, 3e génération aux commandes de EMR.
Artiste et gestionnaire
Son grand-père Raymond Le Dain est à l’origine de la Maison Le Dain qui deviendra plus tard EMR (pour établissement Raymond). Après une formation, ce petit électricien de quartier qui répare les fers à repasser débute comme sous-traitant pour l’ascensoriste Artis. Réputé pour son sérieux, il se constitue un solide portefeuille auprès des syndics, ses principaux clients. Basé à Nice rue Delille, il installe et s’occupe de la maintenance d’ascenseurs. À son décès en 1964, sa fille Raymonde reprend la suite. Cette inspectrice des impôts « va travailler comme une forcenée dans un univers d’hommes, se remémore sa fille. Sa première journée aux impôts finie, elle s’occupe de l’entreprise qui ne compte alors que trois salariés. » Sylvie Wohlgemuth, elle, n’intégrera EMR qu’en 1985. Contrainte et forcée. D’un caractère artiste et rêveur, elle se destine à être professeur d’anglais. « Je voulais écrire un best-seller. Mais ma mère ne m’a pas laissé le choix. »
Par devoir et aussi par amour, elle met de côté ses rêves de devenir écrivain. Et la voilà qui débute par le secrétariat avant de faire tous les postes de l’entreprise « sauf la comptabilité », remarque-t-elle dans un éclat de rire. « J’ai appris du terrain, comment parler à mes clients et collaborateurs, à les prendre en considération et les écouter. » Et la petite étudiante en littérature anglaise devient une gestionnaire aguerrie, une fan de technique et une fine commerciale « grâce à l’amour de ma mère et au soutien de mes équipes, insiste-t-elle. Je m’éclate ! »
La manne de la loi de Robien
Dans les années 90, EMR diversifie ses activités et s’occupe désormais des portes de garage, barrières et portails : « de l’installation à la maintenance en passant par la réparation. Nous sommes passés de 4 employés à 25 », précise Sylvie Wohlgemuth.
Raymonde, sa mère, quitte l’entreprise en 2000 à 73 ans. Le début du millénaire marquera l’ascension d’EMR avec la loi de Robien qui oblige les copropriétaires à réaliser des travaux de conformité et sécurité sur tous les ascenseurs. « Le fax explosait » ,se souvient la dirigeante qui, faute de maind’oeuvre qualifiée et disponible en France, embauche sept Roumains. « Nous les avons formés et ils sont restés pendant dix ans. »
EMR qui a quitté le centre de Nice pour le boulevard de la Madeleine se développe aussi dans le Var en ouvrant des agences à Fréjus, Mandelieu ainsi qu’à Menton.
Des cabines oeuvres d’art
Lorsque les mises en conformité s’arrêtent brutalement – « Alors que nous avions encore au moins deux ans de travail devant nous » – Sylvie Wolhgemuth décide en 2015 de laisser parler son côté artiste. «J’aieu l’idée de personnaliser la cabine d’ascenseur » qui devient une oeuvre d’art, un modèle unique pour un collectionneur, une enseigne. « Ou une marque comme nous l’avons fait avec le concessionnaire Audi installé dans la plaine du Var à Nice. On peut tout faire, réaliser 100 % des idées, sous réserve qu’elles ne soient pas antinomiques avec les exigences réglementaires. » EMR a d’ailleurs confié deux projets aux étudiants de l’école de design cagnoise The Sustainable Design School. « Pendant six mois, ils vont travailler les concepts de Beau Marché et du Beau de Gamme », souligne Sylvie Wohlgemuth, impatiente de voir le fruit de leur réflexion.
Cette appétence pour l’esthétique et le travail bien fait a ouvert une autre voie pour EMR. « Nous collaborons avec une vingtaine d’architectes pour installer des ascenseurs dans des maisons ainsi que dans des immeubles
non équipés. On est spécialiste des installations dans l’existant qui demandent une configuration sur mesure. C’est notre force et on s’appuie sur un réseau de fabricants pour répondre à la demande. Nous sommes également présents sur l’accessibilité depuis 2017 : monte-escaliers, élévateurs pour les plages ou établissements recevant du public. » La PME niçoise a fait une brève incursion dans l’ascenseur intelligent mais « finalement, nous préférons acheter le matériel connecté développé par d’autres fabricants et nous recentrer sur notre savoir-faire ». Malgré un carnet de commandes en baisse en raison de la Covid, EMR continue à prendre de la hauteur. Elle prévoit de créer une société à Paris et vient tout juste d’en fonder une à Monaco. Son nom : AEL pour Ancien Établissement Le Dain. Un clin d’oeil aux générations précédentes.
« Je veux rester indépendante »