Une expérimentation dans trois villes
Pour l’heure, si la population est invitée à se faire tester au moindre doute, aucune opération de dépistage de masse n’est prévue. Toutefois, le novembre dernier, Olivier Véran, ministre de la Santé indiquait « étudier la faisabilité et surtout l’intérêt [d’opérations de dépistage] de masse au sein de certaines collectivités ».
Philippe Froguel, professeur au CHU de Lille et à l’Imperial College de Londres, plébiscitait dans les colonnes du journal Le Monde, ce lundi, le recours à ce type d’opération. Cela permettrait de diminuer, selon lui, la circulation du virus en attendant de pouvoir vacciner le plus grand nombre. De son côté le premier ministre Jean Castex avait annoncé mercredi, sur BFMTV, sa volonté d’organiser trois expérimentations de tests de masse Covid- dans des zones urbaines. Trois villes seraient d’ores et déjà identifiées : Lille, Saint-Etienne et Le Havre. Ce type d’initiative a été mené ailleurs, notamment en Slovaquie et à Liverpool en Angleterre le mois dernier.
Le Dr Vincent Raimondi est le directeur général de Cerballiance Côte d’Azur. Une structure qui emploie plus de 400 personnes, dont 40 biologistes qui se relaient 24 heures/24 depuis le 8 mars dernier pour lutter contre le Covid-19. Alors que les autorités encouragent fortement les tests à la veille des fêtes, le biologiste appelle à un dépistage « maîtrisé et ciblé ».
Qui aujourd’hui vient se faire dépister dans les laboratoires ?
Avec le recul de l’épidémie, on reçoit de moins en moins de patients de ville : quelques rares cas de personnes symptomatiques et de cas contacts déclarés. Le nombre de cas positifs diminuant sensiblement, celui des cas contacts (environ pour chaque positif) est encore plus réduit.
Et il n’y a quasiment plus personne qui vient spontanément « juste pour savoir ». Ou pour chercher une « clé » pour partir en vacances !
Vous réjouissez-vous de cette évolution ?
Oui. On s’est retrouvé dans une situation extrêmement difficile à la sortie du confinement, et surtout en début d’été lorsque l’Etat a incité au dépistage massif. Il a donné à tout le monde un permis de se faire tester, avant de confier aux laboratoires le soin de prioriser.
Des millions de Français ont afflué, on a vu des personnes réclamer un test tous les jours. Pour ce qui concerne nos laboratoires, on a réglé depuis les problèmes capacitaires, grâce à un nouveau plateau technique, des automates… Mais, il reste que l’on a totalement déréglé à l’époque le système. En diluant les responsabilités institutionnelles, alors qu’il aurait fallu confier l’organisation à un acteur central comme l’Agence régionale de santé (ARS).
À la veille des fêtes et de l’assouplissement du confinement, on parle à nouveau de dépistage massif. Qu’en pensez-vous ?
Il est évident qu’il faut dépister, pour contrôler les contaminations, éviter que l’épidémie ne reparte, et parce que tout le monde souhaite que la vie reprenne son cours normal, que les restaurants rouvrent… Mais, un dépistage massif, à l’instant T, pour que chacun puisse manger sereinement la dinde le , est tout simplement impossible à envisager. Imaginons dépister millions de Français – en ayant exclu tous ceux déjà testés positifs. Même si seulement % sont positifs, cela représente plus d’un million de personnes. Qu’est-ce qu’on proposerait ensuite à ce million d’individus ? De rester cloîtrés chez eux, avec interdiction de sortir ? Lorsque l’on est dans la loi du grand nombre, cette stratégie n’a pas des sens.
Il faut un dépistage maîtrisé et ciblé. Et c’est là que ça devient complexe, sachant notamment les inégalités sanitaires sur le territoire.
Qui cibler selon vous ?
Les flux migratoires en priorité : il serait pertinent que toute personne amenée à se déplacer à l’occasion des fêtes de fin d’année dans d’autres régions, au sein d’autres familles, soit dépistée avant. Si elle est négative, elle pourra bénéficier des fêtes en famille, sinon, elle devra rester chez elle.
Il faudrait aussi dépister les professionnels, tous secteurs confondus, qui sont amenés à avoir des contacts directs, rapprochés avec le public : soignants, opticiens, hôteliers, restaurateurs – si on rouvre ces lieux, etc. La liste est loin d’être exhaustive, il ne s’agit pas de stigmatiser des professions en particulier.
On devrait enfin cibler les populations qui subissent la promiscuité imposée par les petits logements. On a ainsi observé dans certains quartiers où nous sommes implantés, un taux de positivité des tests PCR supérieur à la moyenne du département.
C’est grâce un dépistage ainsi ciblé, qu’on devrait pouvoir arriver à des chiffres acceptables.
En cas de résultat positif au test PCR dans un passé plus ou moins proche, faut-il se refaire dépister si on appartient à ces populations cibles ? Non. Chacun peut y aller de son « histoire de chasse », mais, il reste qu’à ce jour, et après quelque tests réalisés, nos laboratoires n’ont jamais observé de réactivation du virus, même parmi les plus fragiles que représentent les résidents des Ehpad.
Cette population est testée de façon récurrente – certains ont eu à subir jusqu’à tests, dans le cadre du protocole sanitaire ! – et aucun résident testé positif lors de la première vague, n’a été testé à nouveau positif lors de la e vague. Mais, je ne peux m’engager en affirmant qu’il n’y aura pas de « repositivation » dans plusieurs mois.
Quid du recours aux tests antigéniques pour un dépistage massif et rapide ?
Ce n’est pas la solution. Les antigènes du virus sont mis en évidence lorsque l’on a une grosse quantité de virus. Chez les symptomatiques, pendant les premiers jours, le test est ainsi très efficace. Il l’est beaucoup moins lorsque les personnes sont asymptomatiques ; seulement % d’entre elles, celles qui ont une charge virale très élevée, ont un test antigénique positif.
Avec ce type de tests, on n’identifie ainsi que % des personnes que l’on voudrait cibler par le dépistage : les pauci (Ndlr : très peu de symptômes) ou asymptomatiques, qui représentent % des contaminés. À l’échelle du dépistage d’une grande population, ça n’a pas de sens.