Pourquoi les experts sont payés très (très) en retard
Le règlement des missions judiciaires connaît un retard important au tribunal de Toulon cette année. Plus de 2 300 dossiers sont en souffrance. Un problème d’organisation, pas d’épidémie
Le monde judiciaire n’apprécie rien moins que le tapage. Et c’est à pas comptés que certains experts de justice ont exprimé leur trouble, ces derniers mois, face à l’absence de paiements de leurs missions. « J’ai passé six mois complets sans rien recevoir. Cela m’a inquiété pour l’avenir, confie l’un d’eux, régulièrement sollicité. Nous n’avons pas de contrats avec la justice. Nous savons que les paiements viendront. Mais la question est… Quand ? »
« Habitués à devoir attendre »
Cette année 2020 a été marquée par les difficultés d’un service particulier, au greffe du tribunal judiciaire de Toulon : le service qui valide administrativement les dossiers déposés par les experts. Venant de tous horizons et de toutes spécialités, les experts de justice ont vu augmenter la facture que leur doit l’institution.
Si certains s’en accommodent – « habitué à devoir attendre » –, d’autres sont en colère, voire financièrement dans l’embarras. Le mécontentement confié en marge des bureaux des juges ou des policiers, a fini par bruisser au palais de justice.
« Nous demandons juste à être payés, s’alarme une experte, pour qui cela représente un tiers de son activité. Si ce n’était que le confinement, le greffe aurait pu y arriver, mais le problème est qu’il n’y avait aucun agent sur le poste. Même après le confinement ». Depuis le printemps, elle n’a rien perçu – aucun versement.
Ici, une cinquantaine de missions sont gelées, là plusieurs dizaines de milliers d’euros « sont dehors ». Les experts qui ont accepté de témoigner ont tous demandé à garder l’anonymat – et la discrétion sur leur situation particulière. Issus de spécialités différentes, ils témoignent d’une même expérience. « Le système dans lequel nous déposons nos factures est très bien fait. Cela s’appelle Chorus ,illustre un autre expert. Les versements y sont beaucoup plus rapides qu’il y a quelques années en arrière .»
Mais cet expert chevronné – et mesuré – regrette « un problème dans l’organisation interne ».« Un poste [de travail] est resté vacant plusieurs mois, sans remplaçant. De plus, tout le monde sait qu’un service ne peut pas tourner avec une seule personne .»
Payer les charges
Au début de l’automne, certains font état d’une petite vague de paiements – « cela m’a aidé à payer mes charges fixes », reconnaît un expert qui s’estime chanceux. « Je me fais assassiner par les impôts car j’ai bien travaillé l’année dernière, relate une autre, sur la corde. Je suis en colère qu’on nous dise qu’il faut prendre son mal en patience .»
De quoi se sentir déconsidéré, pour un métier essentiel à certaines enquêtes judiciaires. « Nous avons une éthique professionnelle, nous avons prêté serment, nous travaillons pour le ministère de la Justice, livre une collègue. Nous ne faisons pas du bénévolat .»
Au sein même de l’institution judiciaire, des voix ont confié leur préoccupation (lire par ailleurs )etla présidence a répondu à nos questions. Si un nouvel agent a été muté sur un poste vacant, en novembre, aucune échéance n’est annoncée pour résorber le retard accumulé cette année.
« Zéro respect »
Même auprès d’experts endurcis, le ton a changé. « Nous n’avons aucune information, pas un mail, pas un courrier. C’est zéro respect pour les experts, s’exclame l’un d’eux. J’ai été interpellé par des collègues de Nice qui m’ont demandé “pourquoi on n’est pas payé à Toulon” !» Une dernière experte, qui a de longues années de pratique derrière elle, finit par perdre patience : « On m’a dit d’arrêter de me plaindre. Mais pourquoi les autres juridictions paient-elles ? Je viens de recevoir un versement… pour un mémoire déposé à Draguignan. Ce n’est pas normal, il y a un problème à Toulon. » Un traitement vécu comme expéditif par ces auxiliaires de justice.