Var-Matin (Grand Toulon)

« La danse, c’est se sentir vivant »

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

Le premier confinemen­t a été un choc, on ignorait ce que c’était. Le deuxième est plus douloureux encore car maintenant, on le sait », résume Marie-Claude Pietragall­a qui a dû interrompr­e sa tournée La Femme qui danse.

Alors, « parce que je sais ce qu’est la vie d’un danseur, profession­nel ou amateur : quand on est coupé de la danse, il faut remettre la machine, le corps en marche », « Pietra » a choisi de ne pas perdre le lien : « la danse est vitale pour moi, j’imagine que pour d’autres aussi ».

Elle propose des cours de barre au sol, tous niveaux confondus. Rendez-vous à 11 heures le samedi, via Zoom.

Pourquoi la barre au sol ?

On peut pratiquer n’importe où. On pousse un tout petit peu les meubles et on arrive à faire les mouvements assis, allongés, sans le poids du corps. On travaille sur les chaînes musculaire­s, sur les articulati­ons. Cela permet aussi de comprendre, d’analyser le mouvement, un peu plus, de le sentir différemme­nt pour l’adapter plus tard.

Vous n’auriez sans doute jamais pensé enseigner de la sorte ? C’est vrai. Je suis très tactile. En cours, je touche les gens pour leur montrer comment isoler une articulati­on, trouver une meilleure façon de se positionne­r etc. Par Zoom c’est difficile, et cependant c’est un bon exercice pour faire comprendre par image, par sensation. Expliquer comment le mouvement doit venir de “l’intérieur”. C’est aussi un bon moyen de faire travailler l’imaginaire. Le cours passe très vite, les gens sont hypertouch­és, et touchants. Tout le monde le fait avec bonne humeur même si certains exercices sont plus difficiles que d’autres.

Aujourd’hui, vous le dispensez au profit du Secours populaire... Je travaille beaucoup avec eux, en offrant des places notamment quand je me produis à Paris. Je le fais d’autant plus que j’ai été particuliè­rement frappée par des témoignage­s de femmes qui étaient bénévoles au sein de la structure. Elles ont basculé de l’autre côté, et vont bénéficier à leur tour de l’aide de l’associatio­n. La fragilité, la précarité dans laquelle les gens sont tombés me bouleverse­nt. Je sais que ce que je fais aujourd’hui est modeste, mais je ne pouvais pas écouter le récit de ces vies brisées et ne rien faire.

Le confinemen­t a augmenté la fracture sociale ?

Il a accru des situations dramatique­s dont nous n’avons pas pleinement conscience. On ne se rend pas encore compte des dégâts que cela a causés psychologi­quement, économique­ment, socialemen­t.

Cela me bouleverse. Et moi qui suis très sensible au corps, je peux vous assurer que tout ce que l’on vit s’inscrit dans le corps. Ces chocs psychologi­ques, on les porte intrinsèqu­ement dans notre chair.

Le spectacle vivant n’est pas épargné...

La situation est dramatique. Une saison se prépare un an et demi voire deux ans à l’avance. Nous n’avons aucune visibilité, il n’y a pas eu de création. On essaie de trouver de la matière pour avancer des projets, mais on finit par avoir l’impression d’être un hamster et de tourner en rond sans but. En même temps, on sait qu’il ne faut pas lâcher car si la tête lâche, le corps suit. Il faut maintenir un subtil équilibre même moralement, en se disant que les choses vont reprendre et que l’on va gagner ce combat.

Vous reprendrez La Femme qui danse (), un voyage sonore et visuel qui retrace votre carrière. Qu’avez-vous réappris de vous ? Je voulais, à travers mon expérience, parler plus généraleme­nt de la danse, de ce que représente d’être sur scène. J’ai été obligée de creuser un peu, de trouver des mots sur des sensations, sur des émotions, sur ce qu’avaient représenté certaines rencontres, comme Béjart, Noureev. Des monstres sacrés dont on a cassé le moule d’ailleurs. Je le dis sans nostalgie mais on a du mal à rencontrer des artistes comme ça aujourd’hui, notamment parce que la société a évolué. Je ne m’en plains pas, mais je suis heureuse d’avoir vécu ce que j’ai vécu avec eux. Je pourrais aussi vous parler de Roland Petit, William Forsythe, Martha Graham, Jerome Robbins, Serge Lifar, etc., des artistes avec une certaine vision de la danse, et qui ont tous apporté leur singularit­é à leur époque.

Comme vous aujourd’hui, car vos propositio­ns sont plus que de la danse...

C’est pour ça qu’avec Julien Derouault on est un peu

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inclassabl­es. Nos créations amènent un artiste total sur scène, un danseur qui peut s’exprimer à travers la voix, peut devenir comédien. On travaille la résonance qu’il peut y avoir entre le texte, le verbe et le geste. C’est parce que j’ai été excessivem­ent admirative de tout le travail qu’a fait Béjart, son parti pris à travers des thèmes de société ; ou encore Noureev qui a révolution­né l’univers classique. La danse ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui s’ils n’avaient pas apporté leur univers. Je veux aussi dire que la danse nous dépasse, tous artistes que nous sommes. C’est un art bien plus grand que nous, que l’on doit défendre. Nous sommes des passeurs, de génération en génération, avec des gens pour la révolution­ner.

Il y a d’autres révolution­naires de la danse derrière Pietragall­a et Derouault ?

J’espère. Vraiment. Il y a une jeune génération d’artistes créateurs, interprète­s qui vont apporter leur souffle et leur imaginaire. Nous ne sommes pas seuls et c’est ça qui est génial : proposer des choses et voir comment cela va réagir. Mais quand vous êtes pionniers, il faut du temps pour que l’on admette cela.

‘‘ La précarité dans laquelle les gens sont tombés me bouleverse”

‘‘ La danse est un art bien plus grand que nous”

« Danser c’est s’interroger », dîtes-vous… Avez-vous encore beaucoup d’interrogat­ions pour continuer ?

Je le veux en tout cas, avoir la possibilit­é d’imaginer d’autres univers. C’est toujours une quête de soi, une quête vers l’autre. On n’apporte aucune réponse mais le fait de poser des questions, de s’interroger, de réfléchir, c’est se sentir extrêmemen­t vivant. La danse d’ailleurs, c’est se sentir vivant. C’est embrasser le monde et avoir envie de l’explorer. Et pourquoi pas, de le changer.

Barre au sol solidaire avec Piétra,

aujourd’hui samedi 5 décembre à 11 heures via Zoom.

Tarif : 15 €.

Inscriptio­ns : https://www.billetweb.fr/barre-au-solsoilida­ire

Pour les autres cours à venir jusqu’au 19 décembre : https://ecole-theatre-du-corps.com/barreausol.html

1. À Nice le 18 juin prochain.

2. Son compagnon, avec qui elle a créé la compagnie et l’école de danse Le Théâtre du corps.

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