Var-Matin (Grand Toulon)

Échec et mat

Création originale la plus regardée de l’histoire de Netflix, elle suscite surtout un engouement incroyable autour des échecs.

- MATHIEU FAURE mfaure@nicematin.fr O. M.

La crise sanitaire fait peu d’heureux mais force est de constater que la plateforme américaine Netflix n’a pas trop à se plaindre des différents confinemen­ts. Un mois après le succès fou de Ratched, la série Le jeu de la dame, sortie le 23 octobre, est devenu la création originale Netflix la plus regardée de l’histoire de la plateforme avec plus de 60 millions de vues à travers le monde. Un raz-demarée imprévisib­le pour cette mini-série de sept épisodes adaptée du roman de Walter Davis publié en 1983. On y suit l’histoire d’Elisabeth Harmon, une jeune prodige des échecs, dans sa volonté de devenir la championne du monde au coeur des années 60. Jamais le monde des échecs n’avait connu un tel engouement autour de son art depuis l’affronteme­nt Bobby Fischer-Boris Spassky en 1972. C’est simple, actuelleme­nt tout ce qui a un lien de près ou de loin avec les échecs explose dans le monde, des recherches sur Google, aux ventes de plateaux à la fréquentat­ion de site spécialisé­s comme chess.com qui a vu son nombre d’inscrits quotidiens passer de 30 000 nouveaux adhérents journalier­s à 125 000 depuis l’arrivée de la série. Comme lors du duel FischerSpa­ssky de 1972, la série a pour toile de fond la guerre froide. D’un côté, la jeune prodige du Kentucky (jouée par Anya Taylor-Joy que l’on avait aperçu dans Peaky Blinders et Split) qui a découvert cet art dans la cave de son orphelinat en y défiant le gardien ; de l’autre le grand maître Vasily Borgov, fine fleur de l’URSS qui exécute ses adversaire­s sans bouger un sourcil dans son costume impeccable.

S’entourer des meilleurs

Derrière ce duel, on retrouve toute l’ambiguïté des échecs profession­nels : l’addiction, le génie incompris, la solitude, le regard des autres, l’ultra-machisme. Des thématique­s qui parlent dans la communauté des joueurs

On a demandé au champion français Maxime Vachier-Lagrave, n° 4 mondial, et à son entraîneur Etienne Bacrot, l’un des plus jeunes grands maîtres internatio­naux de l’histoire, de fact-checker Le jeu de la dame. Analyse entre deux parties.

. Les parties ? Réalistes

C’est l’un des arguments repris en choeur par les joueurs d’échecs avertis. « Enfin une série ou un film sur les échecs avec des parties crédibles. Ils ont été conseillés par Garry Kasparov et Bruce Pandolfini, les d’échecs. Le point fort de la série réside surtout dans sa capacité à rendre nerveuse et rapide des parties tout en y glissant des termes techniques (« Sicilienne », « roque », « gambit », etc.) sans pour autant perdre les novices. Parfois, seul le regard d’Anya Taylor-Joy suffit pour nous faire comprendre que son Roi est en fâcheuse posture. Vous n’avez jamais joué aux échecs de votre vie ? Aucun souci, la série s’engloutit rapidement sans jamais nous perdre en route. La raison ? Les showrunner­s de la série (Scott Franck et Allan Scoot) ont pu compter sur deux conseiller­s de renom : Garry Kasparov, ancien champion du monde, et Bruce Pandolfini, immense coach new yorkais. S’entourer des meilleurs, voilà le credo de la série. Les échecs ont rarement trouvé écho dans le septième art même si, récemment, le film Le prodige a su tirer son épingle du jeu. Dans Le jeu de la dame, pas de caricature du joueur d’échecs fou à lier et perdu dans son monde. On est plutôt face à des joueurs au sens premier du terme. Des compétiteu­rs coups sont réalistes et les ouvertures correcteme­nt jouées » ,juge«MVL» qui se prépare lui aussi à affronter dans quelques semaines les meilleurs joueurs du monde en Russie lors du tournoi des candidats. Le vainqueur deviendra alors le challenger du champion du monde actuel, le Norvégien, Magnus Carlsen.

. L’ambiance dans les tournois ? Fidèle

Si Maxime Vachier Lagrave n’a pas franchemen­t aimé la série « sans scénario », le champion reconnaît que nés qui ne vivent que pour se mesurer aux autres. Beth est une compétitri­ce mais également une jeune demoiselle rongée par le départ de son père et le suicide de sa mère. Ses addictions viennent de là. Les échecs représente­nt une porte de sortie, une bouée d’oxygène, un moyen de s’accomplir et d’exister dans une Amérique très machiste des années 60. C’est difficile d’expliquer l’engouement incroyable autour de cette série qui, malgré sa très grande qualité, ne révolution­ne pas le genre. C’est sans doute d’être tombé au bon endroit, au bon moment, qui a permis à cette minisérie d’avoir une telle caisse de résonance. On se souvient qu’en mars dernier, la série de Franck Gastambide – Validé – sur l’univers du rap avait cassé tous les chiffres de Canal + lors de sa sortie à la demande sur MyCanal. Parfois, il suffit d’une bonne ouverture. Comme aux échecs en somme.

Garry Kasparov comme conseiller technique

Le jeu de la dame, disponible sur Netfix. « l’atmosphère qui règne dans un tournoi est fidèlement respectée. Ça donne une bonne image de ce qu’o n vit pendant la compétitio­n ».

. Des champions drogués ? Impossible

Dans la série, la championne Beth Harmon carbure aux tranquilli­sants. Crédible ? « C’est tout simplement impossible », tranche Etienne Bacrot. « On ne peut pas faire une longue carrière en étant drogué », explique celui qui coache aujourd’hui les meilleurs Français. « Des études ont mêmes été faites, notamment avec des bêtas bloquants et on s’est rendu compte que c’est contre-productif car dans une partie surtout quand ça s’accélère, on a besoin d’avoir tous les sens en alerte pour prendre les bonnes décisions et ne pas perdre trop de temps », explique MVL.

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