Le jour du poisson

On n’arrête plus le progrès. Hier, c’était le Black Friday.

Je me suis jeté sur un homard bleu, des calamars, un loup, des gambas et une bourriche d’huîtres. Mon poissonnier n’en revenait pas. J’étais là avant lui. Frigorifié, j’attendais devant sa boutique depuis cinq heures du matin. J’ai été servi le premier. Pas question d’acheter en ligne. C’est ma façon de résister. A quoi ? Je ne sais plus. Au e-commerce, aux GAFA, à l’américanisation, à Wall Street. Et aussi à l’indice Dow Jones, même si j’ignore toujours ce que ça signifie. Viva la revolucion ! A une époque, il fallait du courage pour entrer dans la résistance. Aujourd’hui, il faut juste être périmé. Comme moi. Ringard, rôti, largué. Grave, quoi ! Il paraît que le Black Friday est une invention géniale. Sans doute. Sauf que le vendredi est déjà pris. C’est le jour du poisson. Ça date de Mathusalem. Plus exactement de la crucifixion du Christ. Ça calme. On vous l’accorde : il est plus excitant de se ruer sur des produits high-tech que sur du dos de cabillaud. Cette manie de piquer les traditions des autres. Vous verrez, un jour, nous fêterons Thanksgiving. Les Ricains nous font avaler n’importe quoi. Bientôt, on mangera une grosse dinde en novembre et on dira merci à Dieu pour les bienfaits de l’année. J’ose espérer que les derniers remerciements ont été glacials et succincts. L’Amérique exagère. Elle nous a déjà infligé Halloween. Une belle couillonnade. Manque plus qu’elle nous envoie Trump dans une boîte en carton. Amazon n’est pas à ça près. Oh my God ! Traduction : oh mon Dieu ! On y revient toujours. C’est pareil avec les calamars.

« Il est plus excitant de se ruer sur des produits hightech que sur du cabillaud. »