Var-Matin (Grand Toulon)

De Laurent Paganelli « Toulon, c’était la folie permanente, les copains... »

- Textes et photos : Fabrice MICHELIER

Prénom : Laurent

Nom: Paganelli

Né le : 20 octobre 1962

Taille : 1,66 m

Poste : attaquant/ailier

Profession : footballeu­r à la retraite. Désormais homme de terrain pour Canal +.

Début en profession­nel : le 25 août 1978, à 15 ans et 10 mois, au Parc des princes face au PSG (1-1). À ce jour, il est encore le plus jeune joueur à démarrer en championna­t de France de première division.

Palmarès : champion de France en 1981 avec l’ASSE.

Parcours en club :

■ AS Saint-Étienne, de 1978 à 1983 (83 matchs, 18 buts).

■ Sporting club Toulon, de 1983 à 1988 (110 matchs, 19 buts).

■ FC Grenoble, en 1988 (8 matchs, 1 but).

■ Olympique avignonnai­s, de 1989 à 1991 (25 matchs, 2 buts).

■ FC Nyons, de 1991 à 1996.

Sélection : en équipe de France des moins de 16 ans et équipe de France espoirs.

Racontez-nous pourquoi vous signez au Sporting ?

À l’époque, il fallait que je parte de “Sainté”, avec cette histoire de caisse noire. Je me rappellera­i toujours : en dix minutes, j’avais eu un appel de Rolland Courbis pour venir à Toulon et un autre de Guy Roux (Auxerre). Je ne savais que choisir, les deux étaient deux monuments. Guy Roux m’avait dit : “Dans dix minutes, je prends l’avion, dans une heure on signe, dans trois semaines tu es internatio­nal.”

Et Courbis, que vous dit-il ?

Bah Rolland, c’est du Rolland (rires )! Il te fait croire que sans toi, le club ne peut pas se maintenir en Division . Même si trois semaines après, tu es remplaçant (fou rire) ! Entre Guy Roux et Rolland, j’ai eu deux personnage­s au téléphone ! Rolland, quand il m’appelle, il est encore joueur. Mais il est tout à la fois : joueur, directeur sportif, président, entraîneur…

Il m’a fait signer à Toulon, je gagnais moins qu’à Saint-Étienne ! Tu signais en pensant que tu aurais une augmentati­on… mais elle n’est jamais venue ! Après, tu oublies, tu t’en fous de l’argent.

Pourquoi avoir choisi Toulon alors ? Le lendemain de leurs appels, je partais de Saint-Étienne pour venir faire le tournoi Espoirs de Toulon. Et là, quand j’ai pris le virage de Bandol… Il n’y avait pas de portable à l’époque. Je m’arrête dès que je peux, je trouve une cabine téléphoniq­ue et j’appelle Carole (sa femme), je lui dis : “On va à Toulon.”

Finalement, la décision a été facile à prendre alors…

J’étais jeune, je n’avais que  ans. Ce n’est pas simple. Il n’y avait pas d’agent à l’époque, ce n’était que ma femme et moi. Ma décision n’a pas été foot. Elle a été humaine. J’avais besoin de retrouver mes racines. Et mes racines, c’est le Sud. Ce n’était pas le meilleur choix sportif. Ce que me dit Guy Roux, c’est vrai, il l’a prouvé, j’aurais été en équipe de France. Mais pour moi, le foot, ce n’est pas un métier, c’est une passion. Non pas qu’à Auxerre il n’y avait pas ce qu’il fallait, mais je savais qu’avec Guy Roux, j’étais dans la continuité de Saint-Étienne. Il me fallait autre chose. À Toulon, c’était la Rascasse, la hargne. On a vécu des choses extraordin­aires.

Si c’était à refaire, vous choisissez encore Toulon ? Malheureus­ement, j’ai perdu mon frère quand j’étais ici. Il venait me voir et s’est tué sur la route. Après, ça a été fini pour moi. Si j’avais signé à

Auxerre, est-ce que cela se serait passé ? Tu as toujours cette sensation d’être coupable. Mais s’il n’y a pas ce drame, oui, je reviens cent fois à Toulon. Je reste à vie à Toulon.

Comment se passent vos premiers jours à Toulon ?

Quand je suis arrivé, je connaissai­s dégun à part Rolland. Le premier jour, quand je débarque, je vois un mec, je pense que c’est l’entraîneur. Mais c’était le photograph­e du club qui s’entraînait avec nous !

Vous êtes passé aux antipodes de Saint-Étienne sur de nombreux aspects…

La veille d’un match, on pouvait passer la soirée au bar à accumuler du whisky, fumer des cigarettes, jouer aux cartes. On se retrouvait à Bandol, Sanary… C’était le foot comme on l’aime, comme ça devrait exister aujourd’hui encore. On ne jouait pas pour l’argent. On finissait les entraîneme­nts, on allait au bar. J’étais dans une période où je me suis rendu compte que le football c’était aussi la camaraderi­e, l’enthousias­me, les histoires…

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C’était fou. Y a que moi qui pouvais rester debout ! Tu étais obligé de te baisser pour rentrer dans le vestiaire. On s’entraînait là-bas aussi. Il y avait des trous, des bosses… Pendant les six premiers mois, on a joué à BonRencont­re avant d’aller à Mayol. Ce n’était pas un champ de patates, c’était au-delà ! Les visiteurs hallucinai­ent. Les deux vestiaires étaient côte à côte. Tu entendais tout. Rolland faisait la causerie pour que les autres entendent. C’était la folie. J’arrivais de Saint-Étienne où tu t’entraînais sur des billards, où les ballons étaient gonflés de la même façon, avec une vraie organisati­on. Là… c’était autre chose !

Il y a le public aussi… Le public toulonnais était fascinant !

Les mêmes au rugby et au foot. Au RCT et chez nous, nous étions dans le même esprit. La mentalité était la même. Tu retirais le même enthousias­me. Le don de soi, la passion, le haut niveau. Il y avait certaineme­nt de meilleures équipes que nous, mais on allait tellement loin dans l’état d’esprit. C’est aussi simple que ça. L’individu n’existait pas. On ne parlait pas d’un joueur en particulie­r. C’était Toulon. Et le public s’identifiai­t.

Venir à Toulon, ce n’était pas anodin. Il y avait une vraie crainte des visiteurs…

Chez nous, c’était l’enfer. Tu avais tout le monde qui traînait par là. On en jouait. S’il y avait le petit caïd du coin, on faisait croire que le grand banditisme était là ! On mettait quatre mecs devant les vestiaires. On leur faisait mettre un costume à carreaux, des casquettes, des chapeaux…

Les gars adverses, quand ils arrivaient, ils n’étaient pas tranquille­s.

‘‘ J’avais besoin de retrouver mes racines”

‘‘ Chez nous à Toulon, c’était l’enfer”

Sur le terrain aussi, c’était un peu chaud…

Quand on n’était pas respecté à l’extérieur, au retour c’était chaud. La première année, on en prend huit à Sochaux. À chaque but, les mecs s’embrassaie­nt. Ils ne jouaient plus rien et nous le maintien. Je me souviens qu’à la fin du match, Rolland et Bernard Boissier partent dans leur vestiaire en leur disant : “Priez pour qu’on ne se maintienne pas, parce que sinon, l’année prochaine…”

On se maintient. La saison suivante, Sochaux vient à Mayol dès la troisième journée… Aïe, aïe, aïe ! On s’est retrouvé à dix au bout de cinq minutes. Dès qu’ils récupéraie­nt le ballon, ils nous le rendaient ! Ils avaient peur. C’était ça aussi, Toulon. Autre exemple : en coupe de France, on prend - à l’aller contre Monaco. Au retour, Rolland laisse la pelouse haute comme pas possible. Il met Luigi (Alfano) avant-centre. On jouait que des ballons longs. À la mi-temps, on mène -. Un but et on est en finale. Finalement, Monaco marque. Mais c’était ça : que des choses invraisemb­lables.

Les mises au vert étaient aussi particuliè­res, paraît-il…

On était content d’aller au vert. Bon, il y avait trois feuilles de route (en fonction de ceux qui devaient se justifier auprès de leur femme). Une qui arrivait à minuit, l’autre à  heures du matin et une autre pour le lendemain... Chaque fois qu’on allait au vert, il y avait un casino ! Si tu ne jouais pas, ça ne plaisait pas à Rolland (rires) ! À midi, à table, il y avait du pinard. Les mecs, les plus anciens, finissaien­t bourrés ! Ils allaient dormir. Ils se réveillaie­nt à  heures, les cheveux dans tous les sens. On mangeait un morceau, on attaquait la coinche et après, c’était la causerie. Par contre, là, c’était parti. On était dans le match. Les mecs qui venaient en face, il fallait qu’ils soient costauds. C’était ça, Toulon ! La folie permanente, les copains quoi.

Un stage de présaison en Espagne a aussi marqué les esprits. Il y a prescripti­on, dites-nous tout.

On était au Club Med aux Baléares. Rolland, il envoyait des comptes rendus de matchs… Je n’ai jamais autant marqué de buts sans jouer au football (rires) ! Tout était faux. On n’avait pas fait un match. On est resté - jours, et après ça, l’équipe entière a été interdite de Club Med pendant dix ans. Toute la bande là, Rolland, Gaspard (le garde du corps de Courbis), Bernard (Pardo), ils avaient enfermé les mecs du Club Med dans un local et ils tenaient le bar ! On a vécu des trucs de dingue.

Ce système avait malgré tout des limites…

Ce n’était pas fait pour durer. Mais le club ne pouvait survivre que comme il vivait. À l’époque, les rentrées d’argent étaient compliquée­s. On arrangeait les choses. Si tu voulais rester en D, il fallait un système adapté à la période. C’était comme ça. Je ne suis plus là quand Rolland est condamné (dans l’affaire de la caisse noire du Sporting, Ndlr), mais il fallait condamner tout le monde. Tout le monde était au courant, savait comment ça fonctionna­it et que c’était la seule façon de faire. D’autant qu’on ne s’est pas enrichi. On voulait vivre cette histoire, mais elle avait un prix.

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