Grèce et Turquie se rêvent en hub gazier européen
La transition énergétique était au centre des débats de la conférence organisée hier par la FMES de Toulon. Le point avec Nicolas Mazzucchi, docteur en géographie économique
Invité par la FMES (Fondation méditerranéenne d’études stratégiques), Nicolas Mazzucchi, chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, responsable notamment des questions d’énergies et de matières premières, donnait hier une conférence « virtuellement » depuis Toulon sur le thème des transitions énergétiques en Méditerranée.
Quand on voit les tensions existant entre la Turquie, Chypre et la Grèce autour de gisements gaziers, n’est-il pas prématuré de parler de transitions énergétiques ?
Tout dépend de ce qu’on entend par transition énergétique. Pour nous Français, il s’agit de se tourner davantage vers les énergies renouvelables. Mais d’un point de vue plus général, c’est le passage d’un système énergétique dominant à un autre. En Méditerranée, il existe trois régions différentes : le nordouest (Espagne, France, Italie) ; le sud-ouest (globalement les pays du Maghreb du Maroc à la Libye) ; enfin, l’est qui va des Balkans occidentaux à l’Égypte. Outre les raisons historiques, les relations entre le nord-ouest et le sud-ouest sont fondées sur les hydrocarbures. Et des pays de la Méditerranée orientale – Grèce et Turquie – qui n’avaient pas de relations énergétiques avec ceux du nord-ouest se livrent aujourd’hui une intense compétition pour devenir le hub gazier qui redistribuera le gaz vers les Balkans et l’Europe centrale.
La vision d’une rive nord cédant, sous la pression populaire, à la transition vers des énergies propres, et d’une rive sud qui multiplie les découvertes de gisements est donc simpliste ?
C’est plus complexe. L’Algérie et la Libye par exemple, sont trop dépendants économiquement de leur production d’hydrocarbures. Quand les cours sont bas, comme c’est le cas en ce moment, ça leur crée des problèmes. Ils commencent à se tourner vers d’autres énergies. À l’inverse, les pays de la Méditerranée orientale essayent de tirer profit des récentes découvertes de gaz, même si les gisements ne sont pas tous rentables.
Puisqu’on parle d’énergie, le président Macron a choisi le nucléaire pour le futur porteavions. Une réaction ?
C’est un choix logique. Pour certaines pièces que nous ne fabriquons pas, nous dépendons des Américains. C’est le cas notamment pour les catapultes électromagnétiques qui équiperont le futur porte-avions. Or, le système tampon de stockage d’énergie nécessaire au fonctionnement de ces catapultes a été conçu autour de chaufferies nucléaires. Bien sûr, on aurait pu adapter ce système de stockage d’énergie à une propulsion classique. En faisant le même choix que les Américains, on limite le coût final.
Les questions énergétiques sont omniprésentes dans les armées ?
À tel point que la ministre des Armées Florence Parly a présenté la stratégie énergétique de défense le septembre dernier. Cette prise de conscience des armées de réduire leur consommation énergétique vient d’un rapport américain de qui établissait que % des pertes humaines en Irak et en Afghanistan survenaient au cours de la chaîne logistique. À l’avenir, sans que ça n’ait d’impact évidemment sur les opérations, les armées vont chercher à améliorer les performances énergétiques de leurs matériels.
Le principal problème des pays riverains de la Méditerranée n’est-il pas plutôt l’eau ?
Mais l’eau, c’est aussi de l’énergie. Ce n’est pas une ressource utilisable telle quelle. Pour l’extraire, pour la rendre potable, il faut de l’énergie. Plus ça va, et plus l’eau est indissociable de l’énergie. Sur le modèle des monarchies du golfe arabo-Persique, certains pays méditerranéens sont en train d’augmenter leurs capacités électriques pour procéder au dessalement de l’eau de mer.