Var-Matin (Grand Toulon)

Patrimoine : pas touche à ma campagne

En janvier dernier, une loi préservant le patrimoine sensoriel des campagnes, ses odeurs et ses sons, a été adoptée. Le chant du coq n’est plus un trouble anormal du voisinage

- RÉGINE MEUNIER rmeunier@nicematin.fr

Le coq qui coquerique au point du jour. Le fumier de cheval qui envoie ses effluves par-delà la clôture du voisin, tel le nuage de Tchernobyl franchissa­nt les frontières. Les oies qui cacardent quand passe le facteur. La chèvre qui bêle sans raison apparente, tout en faisant tinter sa cloche, au moment de la sieste. Et ce tracteur qui crachote des basses même le dimanche, jour de grasse matinée... C’est la galère de nombre de citadins partis vivre à la campagne. Le groupe Tri Yann pourrait composer une chanson s’il n’avait pas déjà fait la célébrité du loup, du renard et de la belette. Le député de la Lozère Pierre Morel-à-L’Huissier lui, a proposé une loi, face à la multiplica­tion de ces conflits de voisinage et à leur judiciaris­ation.

Les néo-ruraux souvent anti-coqs

Cette loi a été promulguée le 29 janvier dernier. Elle vise à protéger le patrimoine sensoriel des campagnes, ses sons et ses odeurs, tout en donnant aux tribunaux un texte sur lequel s’appuyer.

Les néo-ruraux, de plus en plus nombreux à tout quitter de la ville pour une aventure pastorale, devront réfléchir à deux fois avant de saisir les tribunaux, parce que la mare aux canards est squattée par des grenouille­s, qui coassent jour et nuit et les dérangent. Le coq Maurice se réjouirait de ce vote à l’Assemblée nationale et au Sénat, s’il était encore de ce monde, dans son poulailler sur l’île d’Oléron. Les voisins qui se plaignaien­t de son chant trop matinal voulaient que la justice lui coupe le sifflet. Mais elle en a décidé autrement. Maurice est mort de maladie peu avant l’été 2020, cependant, le chahut fait autour de son cocorico en a fait un emblème du monde rural. Et a peut-être inspiré cette loi.

Les tribunaux pourront s’appuyer sur elle pour trancher en cas de conflit. Et ils sont nombreux. « 18 000 affaires judiciaire­s ces dix dernières années concernent des troubles du voisinage » indique Pierre Morel. Ce chiffre recense l’ensemble de ces problèmes, y compris les plus fréquents, par exemple le bruit des plongeons dans la piscine du voisin ou l’arbre qui s’étale et va jouer avec son ombre dans la propriété d’à côté.

Solution à l’amiable

Jean-Jacques Zint, est conciliate­ur de justice, sur le vaste territoire du tribunal de proximité de Brignoles, soit à peu près celui de la Provence Verte et de Provence Verdon. Il accueille cette protection du patrimoine sensoriel agreste, avec satisfacti­on. Il a été plusieurs fois chargé de trouver une solution amiable à des conflits de voisinage : sur Rians, ils étaient liés au coq qui chante trop tôt et aux chiens de chasse qui aboient toute la journée ; à Bras, c’était le fumier de cheval qui sent mauvais et attitre les mouches. « Sur ces affaires, on a trouvé des solutions, souligne-t-il, le poulailler, le tas de fumier et les chiens ont été déplacés .» « J’essaie de concilier, mais parfois les gens ne font pas d’efforts. Avec cette loi, ce sera différent. » Selon lui, elle est une incitation forte à faire la paix entre voisins, entre ex-citadins et ruraux. À la campagne, le chant du coq n’est plus un trouble anormal de voisinage.

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