Marcel Rufo : « Ils sont fragiles et certains ont plus peur de la vie que de la mort »
À l’évocation des affrontements entre bandes de jeunes, c’est tout un pan de son enfance toulonnaise qui revient à la mémoire de Marcel Rufo. Et aussitôt, comme par réflexe, le célèbre pédopsychiatre, aujourd’hui âgé de 76 ans, entonne une vieille chanson : « 118 119, la raille du Cul de boeuf. Nous gagnerons la raille, la raille, nous gagnerons contre la raille des trois quartiers ! »
Enfant de Besagne, quartier populaire aux abords du stade Mayol, Marcel Rufo ne boudait pas la castagne, longtemps la marque de fabrique des rugbymen du RCT. Comme nombre de gamins de l’époque, lui aussi, en son temps, a fait partie de la « raille » du quartier.
Avec une pointe de nostalgie, il raconte : « Les bagarres de quartier à quartier existaient déjà dans les années 1950. Les plus jeunes étaient attirés par les plus grands, pour faire masse, plus que pour combattre en première ligne ».
Mais pour Marcel Rufo, on a franchi un cap en matière
de violence. « Les adolescents d’aujourd’hui sont plus violents. La scarification – une façon d’être propriétaire de sa douleur – en est une illustration. Ça n’existait pas à mon époque. Pour en revenir aux bagarres, on se tirait des marrons, dans le pire des cas, on cassait une dent ou le nez à l’adversaire. Aujourd’hui, les jeunes n’hésitent pas à sortir le couteau et à tuer l’autre ».
Un passage à l’acte qu’il faut peut-être attribuer aux jeux vidéo. « À force de tuer des avatars à longueur de journée, les jeunes finissent par mélanger l’imaginaire et l’insolite ». Ce qu’il appelle «la démocratie familiale » a aussi peut-être sa part de responsabilité. « Les adolescents sont plus libres de leur force, de leur énergie ».
Voir l’autre comme un objet
Marcel Rufo n’épargne pas non plus les réseaux sociaux grâce auxquels les jeunes s’attaquent sur la toile avant d’en venir à la confrontation physique. D’une certaine façon, « ils font durer ce moment court qu’est la bagarre ».
Visiblement choqué par les derniers faits divers, le pédopsychiatre toulonnais revient sur la violence des jeunes. « L’effet bande, l’effet meute n’est pas à négliger, mais lorsqu’on tape avec un marteau sur quelqu’un d’autre, c’est qu’on ne le considère plus comme son semblable, mais comme un objet. Les adolescents sont fragiles. Et certains ont plus peur de la vie que de la mort ».
Mais loin de lui l’idée de s’opposer au sociologue Laurent Mucchielli. De nature optimiste, Marcel Rufo conclut : « L’adolescence est un âge génial, où on apprend le plus. Attention à ne pas la stigmatiser. Épidémiologiquement parlant, les sociologues sont plus crédibles que les pédopsychiatres qui finalement ne sont en contact qu’avec les jeunes, extrêmement minoritaires, qui vont vraiment mal ».