Var-Matin (Grand Toulon)

Les rixes entre bandes de jeunes ne sont pas un phénomène nouveau

- PROPOS RECUEILLIS PAR P.-L. PAGÈS plpages@varmatin.com

Sociologue spécialisé dans la délinquanc­e des jeunes, directeur de recherche au CNRS, Laurent Mucchielli va à l’encontre du discours ambiant sur les rixes entre bandes.

Que vous inspire la multiplica­tion des rixes entre bandes ?

Ce n’est pas du tout un phénomène nouveau. On prête davantage attention à ces rixes parce que, tout à coup, on décide de braquer le projecteur dessus. Les rixes entre bandes existent depuis longtemps, mais personne n’en parlait. À partir du moment où on décide d’en parler, tout ce qui passe dans le faisceau du projecteur devient plus visible. Ça fait  ans que je suis dans le métier et j’ai déjà, à de nombreuses reprises, répondu aux questions que vous me posez aujourd’hui, exactement de la même manière, à la suite de faits divers tout à fait comparable­s.

À votre avis, il est exagéré de parler de fait de société ?

Absolument. C’est la déformatio­n classique du débat politico-médiatique qui consiste à venir plaquer des généralité­s sur des faits divers dont on ne sait rien, puisqu’ils viennent à peine de se produire et qu’on n’a pas encore le retour des enquêtes de police judiciaire. On ne sait rien mais, comme on veut commenter tout de suite, on plaque dessus des généralité­s et on transforme des faits divers en fait de société, sans aucun fondement.

Par rapport au passé, ces affronteme­nts sont-ils plus violents ? Les protagonis­tes plus jeunes ?

Non. Ce sont des séries de lieux communs qui font partie des généralité­s qui sont plaquées toujours de la même manière : soit les gens sont plus jeunes, soit les faits sont plus graves, soit il y a des armes. C’est exactement ce qu’on disait il y a  ans.

Déplorait-on aussi des morts dans le passé ?

Il y en a eu bien sûr, mais ça reste exceptionn­el. En général, ces bagarres ne font que des blessés.

Ce n’est donc qu’une loi des séries sur laquelle on braque le projecteur ? C’est ça. Chaque année, il y a des centaines de rixes entre jeunes sans que ça fasse les gros titres. Pourquoi, tout d’un coup, ça sort ? Le schéma est toujours le même : un fait divers, un peu plus grave que les précédents, sert d’appui. Le ministère de l’Intérieur, qui décide de communique­r dessus, fait le reste. Qu’est-ce qui alimente l’ensemble des articles qui sont produits en radio, en télévision ou en presse écrite ? Ce sont d’abord les communiqué­s des pouvoirs publics, du ministère de l’Intérieur, des préfecture­s, auxquels viennent s’ajouter les commentair­es des syndicats de police. Il y a une dimension politique derrière. Je me suis souvent fait cette réflexion dans ma carrière : ces espèces de panique politicomé­diatique n’arrivent pas à n’importe quel moment.

Le calendrier politique n’est pas étranger au tapage fait autour de ces rixes ?

Ça n’a échappé à personne qu’on est en début de campagne électorale.

On monte en épingle des faits qui, en temps normal, seraient restés inconnus du grand public ? C’est tout à fait ça.

Mais les chiffres  affronteme­nts entre bandes en , contre  en  - attestent d’une hausse bien réelle ? Si on voulait parler de tendance historique, le minimum serait de regarder sur dix ans. En , j’ai publié un livre - La Délinquanc­e des jeunes dans lequel je donnais des chiffres, dont certains étaient supérieurs à ceux d’aujourd’hui. Il y a des vaet-vient. Regarder juste d’une année sur l’autre n’a pas de sens. Je le répète : si on voulait trouver une tendance historique, il faudrait se pencher au moins sur dix ans.

À vos yeux, la réponse apportée à cette délinquanc­e, à cette violence des jeunes, estelle la bonne ?

La seule réponse qu’on donne est à chaque fois la même : le ministre de l’Intérieur vient faire sa petite visite dans la commune concernée par tel ou tel fait divers. Il vient serrer quelques mains, rencontrer les policiers du commissari­at local, voir le maire et, à la fin, il annonce des renforts policiers. À chaque fois c’est pareil. Évidemment, quand bien même ces annonces correspond­raient à une réalité (ce qui n’est pas toujours le cas), chacun comprend bien que ce n’est pas le fond du problème. Ce n’est pas un surcroît de contrôle policier qui va régler fondamenta­lement des choses qui existent depuis extrêmemen­t longtemps et qui plongent leurs racines dans des phénomènes familiaux, sociaux, scolaires, socioécono­miques.

Quid des motivation­s qui poussent ces jeunes à s’affronter.

Elles sont très variées. Il y a une dimension territoria­le bien sûr dans certains affronteme­nts. On défend tel quartier par rapport à tel autre. Dans certains cas, c’est lié aux établissem­ents scolaires, où se concentre la vie sociale des adolescent­s. Mais ces bagarres peuvent aussi prendre racine sur tous les genres d’embrouille­s qui existent entre les grands adolescent­s : des histoires de type conjugal, des vols, l’argent… Et, contrairem­ent à ce que disent trop souvent certains syndicats de police, les trafics de drogue sont loin d’intervenir systématiq­uement dans le déclenchem­ent de ces bagarres.

Et le rôle des réseaux sociaux ?

Ils ne sont qu’un amplificat­eur, qu’un propagateu­r démultipli­é d’informatio­ns qui, avant cela, circulaien­t par téléphone, par ouï-dire…

Ces phénomènes sont liés à l’adolescenc­e ?

Oui, mais l’inactivité, l’oisiveté, l’échec scolaire, l’absence d’insertion ne sont pas à négliger non plus. Un certain nombre de jeunes gens traînent dans la rue parce qu’ils sont hors de tout : ils ne vont plus à l’école, ne sont pas en apprentiss­age et n’ont pas d’emploi… Ces affronteme­nts arrivent plutôt dans des villes et des quartiers où il y a beaucoup d’exclusion sociale. Les phénomènes de groupes qui agglomèren­t des gens qui n’ont pas forcément le même parcours sont aussi à prendre en compte.

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(Photo DR) Le sociologue Laurent Mucchielli.

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