Plongée dans les halles « d’avant »
Alors que la réouverture du lieu est prévue pour les prochaines semaines, nous avons retrouvé « Madame Berthou », ancienne commerçante emblématique de la place Vincent-Raspail.
Fermez les yeux et imaginez. Il est 6 h 30, devant la jolie fontaine Wallace. Les charettes à bras laissent libre accès au petit escalier des Halles. Accoudés au comptoir, les lève-tôt s’y retrouvent pour boire un café ou un ballon. Bientôt la grande salle entre en ébullition. L’accent provençal émerge du brouhaha. Le chaland fait la queue pour un steak de cheval, un plat-de-côtes boucané ou un chèvre de Calenzana. Sans oublier la dorade à peine endormie, pêchée du matin en rade des Vignettes. Le bruit et l’odeur, les saveurs…
Fermez les yeux ou… parlez-en avec « Madame Berthou ». À 91 ans, Andrée de son prénom mène une paisible retraite à La Garde. Et si elle n’a plus le pas alerte de ses 38 ans, âge auquel elle s’installa derrière son étal place Vincent-Raspail, elle conserve encore un souvenir éclatant de ses deux décennies passées dans les Halles Esther-Poggio. Les gens venaient de loin pour une casserole de la fameuse choucroute qu’elle vendait dans son « Relais d’Alsace ».
En , les commerçants signent une pétition
« J’ai ouvert mon commerce en 1968, se rappelle-t-elle. J’étais alors une mère célibataire avec trois bouches à nourrir et il fallait que je travaille. Un charcutier de Mulhouse, ma ville natale, m’a appris le métier en deux semaines. C’est devenu mon fournisseur attitré. » Les produits alsaciens partaient le soir de l’est de la France pour arriver en gare de Toulon le lendemain matin. Direction ensuite la chambre froide au sous-sol du marché couvert. Kouglof, pâté lorrain ou spaetzle complètent une carte rapidement devenue une référence du centre-ville. À cela s’ajoutent le délicieux riesling ou l’Adelshoffen artisanale !
« Les Halles étaient un endroit formidable, plein de vie, poursuit la pimpante nonagénaire. Il y avait une ambiance formidable entre la cinquantaine de commerçants. On était bons copains, heureux de venir travailler. La buvette livrait les cafés à chaque stand. Il y avait Baldacchino, le boucher ; L’Héritier, l’épicier ; le charcutier corse Saravelli… Et puis Zize, la poissonnière. On avait beau lui tourner le dos, on n’entendait qu’elle ! » Plus discret mais non moins couru, le Relais d’Alsace, tout en boiserie, est ouvert tous les matins, à l’exception du lundi. Mais les années s’écoulent et Les Halles ne rajeunissent pas. Les murs décrépissent, l’animation fait défaut et l’hygiène n’est pas toujours au rendez-vous. Sans même parler du confort. «Le problème n’était pas tant la fréquentation que la vieillesse du bâtiment, confirme JeanPierre, le mari d’Andrée .Ilaurait fallu le rénover, sauf que le maire Maurice Arreckx n’en voulait plus. » En 1978, une pétition est lancée par les commerçants pour demander un rafraîchissement des lieux. Rien n’y fait. « Les locomotives commerciales ont commencé à partir… »
Andrée et Jean-Pierre, eux, passent
‘‘ Zize, la poissonnière, on n’entendait qu’elle !”
du temps dans leur affaire au Pontdu-Las. Ils font aussi tourner un camion sur les marchés de la côte. Finalement, en 1989, Andrée décide de quitter le quartier, en prenant une retraite bien méritée. Ce que lui inspire aujourd’hui le renouveau annoncé des Halles ? Que du bien ! « Partout où ça existe, ça marche. Entretenu et animé, c’est une mine d’or, affirme-t-elle. Sûr que j’irai avec plaisir. J’espère déjà qu’on va m’inviter pour l’inauguration. » Le message est passé !