Var-Matin (Grand Toulon)

La pêche à la poutine a-t-elle encore un avenir ?

La traditionn­elle pêche à la poutine a démarré officielle­ment mardi 2 mars. Interdite par la Commission européenne, elle bénéficie localement d’une dérogation. Pour le moment.

- VIRGINIE RABISSE

La saison 2021 de la pêche à la poutine s’est ouverte mardi 2 mars. Pour la dernière fois ? Cette pratique séculaire semble en effet proche de péricliter. Depuis plusieurs années, la pêche aux alevins de poisson est même interdite en France (et aussi en Italie) par la Commission européenne dans le cadre de sa politique commune de pêche. Le motif : la taille des spécimens pêchés pour la poutine est inférieure à la taille minimale fixée par le règlement européen en Méditerran­ée. Une exploitati­on qui mettait en péril la ressource de sardina pilchardus.

Cependant, après de longues et difficiles négociatio­ns avec Bruxelles, les pêcheurs des Alpes-Maritimes ont finalement réussi à arracher une dérogation.

Une pêche dense sur  jours

Renouvelab­le tous les trois ans, cette dérogation court chaque année sur 45 jours. Elle prévoit que la pêche de la poutine reste artisanale – à la senne de plage, ce filet aux mailles resserrées, déployé depuis la rive par un pointu, à 200 mètres maximum.

Les pêcheurs sont autorisés à remonter jusqu’à 50 kg d’alevins de poisson par jour et par bateau pendant cette période. Une règle si stricte que tout excédent d’un jour doit être déduit de la pêche du lendemain ! De toute façon, pas question d’y déroger : à chaque printemps, saison de la poutine rime avec affaires maritimes : les agents des services de l’État veillent au grain depuis le rivage. Pour l’ouverture, ils ont d’ailleurs contrôlé les filets des pêcheurs : ils ne doivent pas excéder 200 m de long pour 10 mètres de hauteur. En fait, c’est sur des objectifs de contrôle que repose le maintien de cette pêche traditionn­elle. Ils sont fixés par un plan de gestion établi par la Commission européenne et mis en oeuvre par la Direction départemen­tale des territoire­s et de la mer (DDTM) des Alpes-Maritimes. Sans ces contrôles, plus question de dérogation. C’est ainsi que, faute de plan de gestion, la tradition de la poutine n’a pu être sauvée en Ligurie.

Règles bien intégrées

Les pêcheurs azuréens l’ont bien intégré et se plient à ces règles de – plutôt – bonne grâce. C’est le prix à payer pour continuer de faire vivre la tradition. « C’est parfaiteme­nt compris de notre côté : la réglementa­tion préserve la ressource, mais aussi le métier », assure Daniel Cozzolino, premier prud’homme du port du Cros-de-Cagnes, capitale maralpine de la poutine. Désormais, ils sont à peine une demi-douzaine à pratiquer cette pêche ancestrale dans les Alpes-Maritimes et ce mardi, seuls trois bateaux ont pris la mer.

Ainsi, le prud’homme du Cros-de-Cagnes continue-til de s’inquiéter pour la tradition. « La dérogation, c’est une virgule avant un point, prophétise-t-il. Elle s’arrête en septembre prochain et rien ne dit qu’elle sera reconduite pour 2022. »

Une inquiétude légitime selon Paolo Guidetti. Ancien directeur d’unité de recherche au sein du laboratoir­e Ecoseas de l’Université Côte d’Azur et désormais membre de la « Stazione zoologica Anton-Dohrn » (Institut national de biologie écologie et biotechnol­ogies marines à Gênes), ce scientifiq­ue connaît bien les enjeux liés à la poutine. « Le principe selon lequel la pêche artisanale, bien réglementé­e, peut être durable est vrai .»

Sauvetage encore possible

Sauf que, assure l’écobiologi­ste marin, la pêche de la poutine a ceci de particulie­r qu’elle concerne les petits des sardines. « Là, il faut faire encore plus attention que d’habitude. » Au point de renforcer les restrictio­ns ? En tout cas, explique Paolo Guidetti, « il faut monitorer la situation et obtenir des données scientifiq­ues, pas seulement des impression­s, pour prendre ensuite des décisions ». En d’autres termes, si la quantité d’alevins de sardine prélevée est trop importante et affecte la ressource, malgré les mesures mises en place, il ne faut pas hésiter à en prendre de nouvelles. « Ça pourrait, par exemple, être une pêche beaucoup plus sélective à l’épuisette », illustre le chercheur italien. Ou bien une nouvelle baisse des quotas. Tout pour éviter que cette pratique patrimonia­le disparaiss­e. « L’interdicti­on, a priori, est à éviter, car la pêche artisanale implique aussi une valeur historique et culturelle qu’il ne faut pas oublier. »

Au bout du compte, c’est une question d’équilibre rappelle-t-il : « Le principe de la durabilité, c’est la juste pêche par rapport à la capacité de renouvelle­ment de la ressource. » Et si celle-ci diminue trop, elle emmènera dans son sillage cette pêche artisanale.

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(Photo doc. L. Depuis ce  mars et pour  jours, c’est pêche à la poutine du côté de Cros-de-Cagnes.

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