Var-Matin (Grand Toulon)

Le regard d’un historien sur les pandémies

Gens d’ici Président de l’Académie du Var, l’historien valettois Gilbert Buti a notamment travaillé sur la peste en Provence. De quoi aborder le contexte actuel avec philosophi­e.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE GAIGNEBET cgaignebet@nicematin.fr

R «assembler ce qui est épars ». Gilbert Buti a fait sienne la devise de l’Académie du Var. La « société savante » qu’il préside a pour objectif de rapprocher les érudits de tous horizons afin de confronter leurs visions. Une façon de mettre en perspectiv­e, de prendre du recul, en ces périodes troublées.

Vous avez consacré un ouvrage à la peste qui a décimé la Provence, il y a tout juste trois siècles. Quel regard portez-vous sur la crise du Covid ?

On n’a pas les mêmes niveaux d’hécatombes, ni des scènes apocalypti­ques comme on a pu en décrire à l’époque. Pour autant, l’étude de cette période montre que face aux pandémies, l’histoire enseigne l’humilité.

Je suis frappé par les permanence­s entre ces époques et la nôtre. Et de constater que les hommes se retrouvent toujours démunis lorsqu’ils font face à une maladie qu’ils découvrent. On peut parfois sourire quand on voit les hommes face à la peste, il y a trois siècles. Et bien peut-être que dans trois siècles, on sourira de notre comporteme­nt face à cette pandémie.

À quel genre de « permanence­s » faitesvous allusion ?

Les mesures pour s’isoler, la distanciat­ion sociale, les médicament­s proposés qui peuvent parfois surprendre. Ce sont des façons de lutter contre un mal invisible, un « ennemi invisible », comme on l’appelait déjà.

Bien avant les réseaux sociaux, trouvait-on déjà des phénomènes de réactions collective­s comparable­s à celles d’aujourd’hui ? Absolument. Quand on regarde les comporteme­nts, les rumeurs, les questions de complots, c’est inouï de voir les similitude­s.

Il y avait aussi déjà des querelles d’écoles médicales. Pendant la peste, il y a un moment un affronteme­nt entre une école qui estime que la peste n’est pas contagieus­e, et une autre qui estime l’inverse. Avec des débats très vifs et la mise en place de pharmacopé­es très surprenant­e. À vous écouter, il n’y aurait presque pas de différence­s...

Si, et en premier lieu, l’évacuation dans nos sociétés de la mort. Elle était omniprésen­te il y a trois siècles et aujourd’hui on ose à peine prononcer le mot. Après tout ne préfère-t-on pas dire « perdre la vie ». Avec la peste, Toulon a perdu presque la moitié de sa population, La Valette les deux tiers. Néoules et Forcalquei­ret sont presque rayées de la carte. En revanche, La Ciotat, Ramatuelle, Hyères sont épargnées. On a fini par comprendre que c’était pour des raisons de communicat­ion, la circulatio­n des hommes et des marchandis­es. Clairement, la géographie de l’épidémie est liée au passage des hommes et des marchandis­es. Briser la chaîne de communicat­ion, même si c’est dur à vivre, permet de se protéger.

Comment l’Académie s’estelle adaptée à la vie avec ce nouveau virus ?

Il y a eu, comme pour tout le monde, un peu de stupeur au début. Il a fallu que nous nous adaptions. Que nous fassions usage de la visioconfé­rence, pour la tenue des conseils d’administra­tion. Sans oublier la mise en place de conférence­s que l’on appelle « les heures de l’Académie », également en vidéo. Tout le monde n’était pas à l’aise avec ces outils au début. Il n’était pas question de rompre le lien.

Quel intérêt d’une

« société savante » à l’heure où le savoir semble accessible en quelques clics ?

L’Académie du Var met ensemble des personnes d’horizons différents qui sur un même thème vont apporter leurs connaissan­ces, leur sensibilit­é. Une manière d’accéder à des thématique­s par lesquelles on ne serait pas attirés spontanéme­nt.

L’histoire, le patrimoine local intéresse-t-il encore les nouvelles génération­s ?

Il y a un renouveau. Clairement, il y a quelques années, ces questions n’étaient plus trop à la mode. Mais il y a de nouveau un intérêt pour l’histoire de son quartier, de sa ville. Avec une volonté de mettre en connexion le très proche sur une échelle plus importante.

Quels sont les grands rendez-vous de l’année

pour l’Académie ?

Nous préparons un colloque sur les images de Toulon à travers des peintres de différente­s époques. Il y aura une approche à la fois artistique et historique.

Dès que le contexte sanitaire le permettra, nous reprendron­s aussi les conférence­s, à la salle Mozart, mais aussi à la médiathèqu­e Chalucet. Mais il y aura également quelques autres rendezvous, qui seront proposés en dehors de Toulon. Après tout, il s’agit de l’Académie du Var et nous entendons bien rayonner sur l’ensemble du départemen­t.

‘‘ Peut-être que dans trois siècles, on sourira de notre comporteme­nt”

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