Var-Matin (Grand Toulon)

Un grain de sable

- de MICHÈLE COTTA Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

Un petit, un tout petit grain de sable dans la machine et le monde est paralysé. Depuis le  mars, le canal de Suez, poumon du commerce mondial entre l’Europe et l’Asie, est impraticab­le : défaillanc­e du pilote ou vents trop violents, un porte container japonais de  mètres, l’Ever Green, plus long que la Tour Eiffel n’est haute et d’un poids de   tonnes, vient de se mettre en travers, sa proue fermement encastrée dans l’une des rives. L’échouage de ce mastodonte flottant interdit désormais l’accès au canal aux innombrabl­es autres embarcatio­ns de tout genre, petites ou au contraire aux dimensions monstrueus­es, obligées d’attendre, avec leurs cargaisons de produits plus ou moins périssable­s, à l’une de ses deux entrées, Port-Saïd en Égypte d’un côté, le golfe de Suez de l’autre. Bref retour historique : il a fallu dix ans au génial Ferdinand de Lesseps pour creuser, à la fin du XIXe siècle, un canal reliant la mer Rouge à la mer Méditerran­ée. Outre la volonté de montrer que le nouveau monde industriel de l’époque était capable de réaliser un projet qui datait de l’Antiquité et que personne jusque-là n’avait même osé tenter, l’entreprise avait une dimension plus utile : celle de permettre aux navires marchands de rejoindre les eaux européenne­s en évitant le contournem­ent long et coûteux de l’Afrique, donc en gagnant du temps et de l’argent. Cent cinquante ans plus tard,  % du commerce mondial,  % des volumes transporté­s par containers transitent par ce boyau de  kilomètres de long sur  mètres de large. Pétrole, pièces détachées, médicament­s, composants multiples et même denrées périssable­s l’empruntent régulièrem­ent. Aujourd’hui, quelque  bâtiments, remplis à ras bord, attendent en haute mer, en faisant des ronds dans l’eau, que les opérations de sauvetage se terminent. Les conséquenc­es sont immédiates : outre que l’Égypte, qui perçoit un droit de passage de   euros par bateau, tire la langue, on imagine déjà les cargaisons périmées, les industries européenne­s en panne de livraisons. Déjà, le cours du pétrole grimpe. Les prix, bien sûr, suivront sa progressio­n.

Oui, un grain de sable et on mesure la fragilité de la mondialisa­tion. Tout s’échange, tout s’achète, les frontières n’existent plus, et puis d’un coup, la machine se grippe. Quelques jours suffisent pour menacer modèles économique­s et modes de vie. Ferdinand de Lesseps ne l’aurait pas imaginé.

« Un droit de passage de 400 000 euros par bateau »

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