Un grain de sable
Un petit, un tout petit grain de sable dans la machine et le monde est paralysé. Depuis le mars, le canal de Suez, poumon du commerce mondial entre l’Europe et l’Asie, est impraticable : défaillance du pilote ou vents trop violents, un porte container japonais de mètres, l’Ever Green, plus long que la Tour Eiffel n’est haute et d’un poids de tonnes, vient de se mettre en travers, sa proue fermement encastrée dans l’une des rives. L’échouage de ce mastodonte flottant interdit désormais l’accès au canal aux innombrables autres embarcations de tout genre, petites ou au contraire aux dimensions monstrueuses, obligées d’attendre, avec leurs cargaisons de produits plus ou moins périssables, à l’une de ses deux entrées, Port-Saïd en Égypte d’un côté, le golfe de Suez de l’autre. Bref retour historique : il a fallu dix ans au génial Ferdinand de Lesseps pour creuser, à la fin du XIXe siècle, un canal reliant la mer Rouge à la mer Méditerranée. Outre la volonté de montrer que le nouveau monde industriel de l’époque était capable de réaliser un projet qui datait de l’Antiquité et que personne jusque-là n’avait même osé tenter, l’entreprise avait une dimension plus utile : celle de permettre aux navires marchands de rejoindre les eaux européennes en évitant le contournement long et coûteux de l’Afrique, donc en gagnant du temps et de l’argent. Cent cinquante ans plus tard, % du commerce mondial, % des volumes transportés par containers transitent par ce boyau de kilomètres de long sur mètres de large. Pétrole, pièces détachées, médicaments, composants multiples et même denrées périssables l’empruntent régulièrement. Aujourd’hui, quelque bâtiments, remplis à ras bord, attendent en haute mer, en faisant des ronds dans l’eau, que les opérations de sauvetage se terminent. Les conséquences sont immédiates : outre que l’Égypte, qui perçoit un droit de passage de euros par bateau, tire la langue, on imagine déjà les cargaisons périmées, les industries européennes en panne de livraisons. Déjà, le cours du pétrole grimpe. Les prix, bien sûr, suivront sa progression.
Oui, un grain de sable et on mesure la fragilité de la mondialisation. Tout s’échange, tout s’achète, les frontières n’existent plus, et puis d’un coup, la machine se grippe. Quelques jours suffisent pour menacer modèles économiques et modes de vie. Ferdinand de Lesseps ne l’aurait pas imaginé.
« Un droit de passage de 400 000 euros par bateau »