Var-Matin (Grand Toulon)

« Je veillerai à ce qu’il soit restitué à l’identique »

Le Varois Rudy Ricciotti, figure internatio­nale de l’architectu­re, se désole de voir « son » musée Cocteau toujours fermé. Il réagit pour la première fois depuis la catastroph­e. Sans filtre.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Le musée qu’il a conçu est assoupi. Pas sa liberté de ton. Pour la première fois, Rudy Ricciotti revient sur la tempête qui a sinistré le musée Cocteau, le 29 octobre 2018 à Menton.

À 68 ans, l’architecte varois jouit d’une aura internatio­nale, pour son oeuvre façonnée de Marseille (Mucem) à Paris (l’aile Arts de l’islam du Louvre), de Milan à Liège et jusque dans son Algérie natale. Cette oeuvre, on sent que le musée Jean-Cocteau Séverin-Wunderman y tient une place particuliè­re. Plus encore depuis la tempête Adrian. Mais Rudy Ricciotti refuse de voir son « bébé » délaissé, ou dénaturé. Il le martèle, sans langue de bois.

Êtes-vous retourné sur place depuis la catastroph­e, et qu’avez-vous constaté ?

Bien sûr, j’y suis retourné. Une première fois, peu de temps après l’envahissem­ent par l’eau de mer. Et une seconde fois il y a quelques mois. Vous connaissez l’histoire : un mini raz-de-marée a envoyé des milliers de mètres cubes d’eau à l’intérieur et a détruit des oeuvres. Je n’avais jamais vu ça ! C’est quand même une situation exceptionn­elle. Ils ont d’ailleurs été classés catastroph­e naturelle…

En regardant votre création vide, éprouvez-vous un sentiment d’abandon, de gâchis ?

Je ne suis pas tenu au courant. Je ne sais pas où ils en sont avec les assurances, avec tout le protocole indemnitai­re. C’est quand même fou que ce soit resté en l’état depuis ! Moi, ce que je souhaite, c’est que ce musée soit restitué à l’identique. Vous en conviendre­z, c’est un très beau lieu, ce musée Cocteau ! Ce bâtiment attend d’être restauré. Il faut donc le remettre en état à l’identique.

Vous craignez que son aspect intérieur ne soit dénaturé ? J’avais vu une esquisse assez ridicule. J’en avais parlé au maire, qui disait ne pas être au courant. Ils voulaient cloisonner. Mais la beauté de l’espace, c’est sa continuité ! Je veillerai à ce que le musée soit restitué dans son unité, exactement comme il était. Que le bâtiment ne soit pas altéré dans sa conception architectu­rale. Il avait un beau succès, il me plaisait.

D’importants travaux semblent néanmoins nécessaire­s sur les sols, le plafond…

Ce sont les vitrages qui ont cédé sous le poids de l’eau. Il faut remettre des vitres, refaire la peinture. Ils ont détruit le faux plafond : il faudra bien qu’ils le refassent à l’identique. Les sols, je pense que ce n’est pas nécessaire. On avait fait un sol en résine coulée. Après, la Ville fait ce qu’elle veut…

Le risque aquatique avait-il été suffisamme­nt pris en compte dans la conception de ce bâtiment, situé en bord de mer ? Ce n’est pas la première fois que l’on fait une collection en soussol. Ce n’est pas incompatib­le. Au Louvre, dans l’aile muséale des Arts de l’islam, le niveau inférieur est en zone inondable de la Seine. Ce n’est donc pas un sujet ! [Au musée Cocteau], le sous-sol est entièremen­t imperméabl­e, grâce à une membrane étanche

en périphérie. Le problème n’est pas l’imperméabi­lité du sous-sol ; le problème, c’est que la mer est rentrée dedans. C’est un rez-demarée !

Un expert judiciaire doit intervenir. Craignez-vous une bataille visant à établir les responsabi­lités, susceptibl­e de mettre en cause la vôtre aussi ? Ce que je crains, c’est que comme d’habitude, les assurances se battent pour leurs propres intérêts, davantage que dans l’intérêt des assurés.

Et la crainte que le musée ne rouvre pas ses portes ?

Non, là, il ne faut pas exagérer. Actuelleme­nt, ils sont pris dans des méandres administra­tifs. C’est à l’image de notre société auto-bloquée par sa bureaucrat­ie. Cela crée une

inertie, tout devient compliqué. Il fallait assécher, repeindre les locaux du sous-sol, remettre une vitre plus épaisse au cas où cela se reproduise dans cent ans… et puis voilà. Pourquoi avoir démonté tout le plafond du rezde-chaussée, six mètres audessus du niveau de l’eau ? N’importe quoi !

L’eau de mer et le temps peuvent-ils causer des dommages durables ?

Comme tout lieu fermé, s’il n’est pas ventilé, ça peut moisir. Mais ça, ce n’est pas grave. Il n’y a rien d’impossible.

Vous attendiez-vous à ce que le musée reste fermé si longtemps ?

Pas du tout. Je trouve scandaleux que cela dure aussi longtemps. Il faut un peu de bonne volonté. Je pense que la Ville est victime de ce système auto-bloquant. C’est à l’image du Covid : la vitesse de la réparation des dégâts, elle est à l’image de la vitesse de distributi­on des vaccins…

À qui la faute, selon vous ?

S’il faut chercher la responsabi­lité de cette situation, c’est celle des assureurs et de leur pingrerie. La situation est claire et simple à dénouer : il faut qu’ils paient ! Au lieu de cela, ils préfèrent em… une collectivi­té locale. Ils peuvent chercher des fautes de conception, mais il n’y en a pas ! Il y a du fantasme.

Le musée a pourtant bien été inondé…

Il n’y a rien d’anormal dans le musée Cocteau, rien d’anormal ! L’hydrodynam­isme de l’eau est redoutable. C’est arrivé à une vitesse fulgurante. Heureuseme­nt qu’il n’y avait personne…

Aspirez-vous à voir le musée Cocteau rayonner au plus vite ?

Évidemment. Pour la ville de Menton. Pour les habitants. Ils y étaient assez attachés, non ? Cela fait rayonner Menton comme, à une autre échelle, le Mucem à Marseille. Pour moi, le musée Cocteau est tout aussi important, même s’il est dix fois plus petit. Il raconte la narration d’une oeuvre, celle de Cocteau. C’est un musée conçu pour une collection, celle de Séverin Wunderman. Et c’est rarissime.

“Je trouve scandaleux que ça dure si longtemps ”

“Il n’y a pas de faute de conception !”

 ?? (Photo René Habermache­r) ?? Rudy Ricciotti, figure internatio­nale de l’architectu­re basée dans le Var, reste très attaché au musée qu’il a conçu à Menton. Et à son avenir.
(Photo René Habermache­r) Rudy Ricciotti, figure internatio­nale de l’architectu­re basée dans le Var, reste très attaché au musée qu’il a conçu à Menton. Et à son avenir.
 ?? (Photos archives Eric Dulière) ?? Le musée Cocteau tel un phare dans la nuit, du temps où il rayonnait sur Menton.
(Photos archives Eric Dulière) Le musée Cocteau tel un phare dans la nuit, du temps où il rayonnait sur Menton.
 ?? (Photo René Habermache­r) ?? Les élégants piliers en béto n blanc, caractéris­tiques de l’architectu­re du musée Cocteau.
(Photo René Habermache­r) Les élégants piliers en béto n blanc, caractéris­tiques de l’architectu­re du musée Cocteau.

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