Var-Matin (Grand Toulon)

Jean Leonetti : « Réfléchiss­ons avant d’aller copier une loi belge »

- PROPOS RECUEILLIS PAR F. L.

Jean Leonetti, ancien ministre, maire d’Antibes et par ailleurs médecin, est à l’origine des lois relatives aux droits des malades en fin de vie. Qui interdisen­t notamment l’acharnemen­t thérapeuti­que ou l’obstinatio­n déraisonna­ble.

Faut-il aller plus loin, ainsi que le demandent les partisans de l’euthanasie ? Entre ce que nous avons fait et la possibilit­é, sous certaines conditions, de donner la mort à quelqu’un qui la demande, comme c’est le cas en Belgique, en Hollande ou en Suisse, entre autres, ce n’est pas une différence de degré, mais une différence de nature. Il ne s’agit donc pas d’aller plus loin, mais d’aller ailleurs. Les lois de  et  reposent sur ce triptyque : non-abandon, non-souffrance, non-acharnemen­t thérapeuti­que. Ici, on parle d’une rupture sur le plan juridique et sur le plan culturel.

Quand on est proche de la mort, est-il raisonnabl­e d’invoquer le Code pénal ?

Il est judicieux en effet d’évoquer la mort imminente. Si je dois mourir dans quelques heures, quelques jours, quelques semaines, c’est une perspectiv­e proche et la question est, à mes yeux, presque résolue dans la mesure où c’est le malade qui oriente. L’enjeu consiste à éviter le « mal mourir » qui existe encore en France et dans d’autres pays européens. Si, n’ayant plus que quelques jours à vivre, on me dit que je vais souffrir dans la solitude, je préfère mourir tout de suite, c’est une évidence.

Quelle différence avec le suicide assisté ? Quelqu’un dont la mort n’est pas immédiate – parfois à six mois, un an, deux ans – peut avoir peur de la dégradatio­n, de la dépendance, plus que de la souffrance. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Ai-je le droit de me suicider ? La réponse est oui, ce droit étant acquis depuis la Révolution. Le paradoxe, c’est que, lorsqu’un patient arrive à l’hôpital après une tentative, on considère sa fragilité, sa vulnérabil­ité.

On le réanime.

Réanimer n’est-ce pas, parfois, contestabl­e ?

C’est contestabl­e. Pourquoi le fait-on ? Parce que, trois fois sur quatre, il n’y a pas de récidive. On peut donc considérer qu’il est possible de redonner goût à la vie à quelqu’un qui a tenté de mettre fin à ses jours. Autrement dit, ce qui n’existe pas quand la mort était à quinze jours – on est alors dans la recherche du confort, de l’apaisement, de la transmissi­on, dans un moment complexe, intime, douloureux, mais aussi lumineux – devient autre chose. Tout le débat éthique se résume par un curseur à mettre entre le « je » de « c’est mon choix, ma liberté, mon autonomie », et le « nous » qui consiste à dire que nous t’aiderons, malgré toi.

L’euthanasie, une demande des vivants ?

La mort, c’est l’autre. Si je meurs, je quitte les autres et celui qui m’aime et meurt me quitte.

Sa mort à soi est une expérience impossible : à peine la vit-on que l’on ne peut plus en parler. La question est médicale. Celle des devoirs envers le vulnérable. Deux conscience­s, deux confiances. Trouver un accord avec le malade sur la thérapeuti­que à mettre en oeuvre. Moi, médecin, je n’ai pas à parler à la population qui l’entoure, même si cette population est affective, sauf si lui ne peut pas s’exprimer. Entre le malade, l’entourage et l’équipe médicale, le dernier qui se lasse, c’est le malade. Alors oui, ce désir de mort, il faut l’accepter parce qu’il va mourir, parce que l’on n’arrive pas à le guérir.

Aider à mourir, c’est non ? Je me suis intéressé à une expérience menée dans l’Oregon, où l’on donne au patient qui le demande un médicament à plusieurs conditions, dont celle d’un pronostic vital à moins de six mois. Ce médicament, il le prend quand il veut, ou ne le prend pas. A l’arrivée, une personne sur deux demande le médicament mais ne le prend pas. Le problème, c’est que l’un des patients l’a pris, cinq ans après. Autrement dit, le pronostic, on est incapable de le faire. Donner du temps, c’est aussi le droit de donner la possibilit­é de changer d’avis.

A-t-on accès partout en France et dans les mêmes conditions aux soins palliatifs ?

Non, malheureus­ement non. On est encore très loin d’une société dans laquelle on accompagne avec dignité le mourant. La dignité est indétachab­le de l’homme, cela signifie que l’on respecte la personne jusqu’au bout. Mais cela ne veut pas forcément dire lui donner la mort. Ce mot, dans l’esprit des gens qui l’utilisent à propos de la fin de vie, est confondu avec l’estime de soi. Moi, vivre comme ça ? Je préfère mourir. Voilà ce qu’ils se disent.

En conclusion, où mettre le curseur ?

À plusieurs reprises, la Belgique ou la Hollande ont élargi le cadre. Au départ, les adultes. Mais pourquoi pas dès quatorze ans ? Pas question pour les malades dépressifs ou psychiatri­ques. Et pourquoi, dans un moment de lucidité, n’auraient-ils pas ce droit ?

Pousser le curseur vers la liberté, c’est entailler le pacte de fraternité et de solidarité.

Je ne dis pas que j’ai raison.

Je dis simplement qu’au lieu d’aller copier une loi belge dans la forme, peuvent entamer une démarche de réflexion. Nous sommes dans une période peu propice, c’est plutôt un débat présidenti­el. Et, même si le ou la futur(e) Président(e) décidait de le faire, la loi de bioéthique prévoit des états généraux. Faisons-les !

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(Photo Franz Chavaroche) « Ce n’est pas une différence de degré, mais de nature. [...] On parle d’une rupture sur le plan juridique et sur le plan culturel. »

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