Var-Matin (Grand Toulon)

Dupond-Moretti : « L’objectif, c’est tout sauf du trash ! »

Les cours d’assises réservées aux « grands crimes », des procès filmés et diffusés : le projet de loi réformant la justice, présenté par le garde des Sceaux, suscite un tollé. La parole à la défense.

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Les coups, Éric Dupond-Moretti a toujours su en prendre. Encaisser. Et les rendre. Aussi bien sous sa robe d’avocat qu’en tant que garde des Sceaux. Dans l’oeil du cyclone après la présentati­on de son projet de loi sur la réforme de la justice, mercredi en Conseil des ministres, il persiste et signe. Prêt à ferrailler, de nouveau, avec les députés qui examineron­t son texte en première lecture à partir du 17 mai.

Votre loi vise à « restaurer la confiance » dans la justice. Pourquoi, selon vous, cette confiance s'est-elle dégradée ? Précisémen­t, à cause des problèmes que ce texte veut résoudre. Selon une étude du Cevipof () de février, plus de  % des Français n’ont pas confiance dans la justice. Ils disent qu’elle est trop lente, peu compréhens­ible, pas accessible… Je suis convaincu qu’on peut inverser la tendance.

En mai , évoquant les cours criminelle­s départemen­tales que vous défendez aujourd'hui, vous estimiez : « C'est la mort de la cour d'assises ». Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?

Je n’ai pas changé d’avis ! Pas du tout ! Et j’assume tout ce que j’ai pu dire. En tant qu’avocat, en effet, j’ai craint que le principe d’un jury populaire – auquel je suis extrêmemen­t attaché – puisse être menacé. Mais en tant que garde des Sceaux, j’ai reçu des assurances du président de la République sur le fait que ce ne sera jamais le cas. Et je vais, en plus, leur redonner leur souveraine­té.

Pourquoi ne pas avoir mené l'expériment­ation jusqu'à son terme, en , avant de décider de généralise­r ces nouvelles cours criminelle­s ?

Que disent les remontées du terrain que j’ai depuis que je suis ministre ? Que les magistrats et les avocats sont satisfaits. Et que les justiciabl­es le sont aussi. Aux assises, le taux d’appel atteint  % ; il n’est que de  % pour les cours criminelle­s expériment­ales. Je dispose également d’un rapport rédigé par deux magistrats, l’un membre de LR, l’autre de LREM, qui conclut que ça fonctionne bien. Moi je suis là pour construire. Pas pour détruire.

Un violeur, s’il encourt moins de  ou  ans de réclusion, pourra désormais échapper à la cour d'assises – et donc au jury populaire. À vos yeux, c'est un progrès ?

Ce ne sera pas le cas, puisque toutes les procédures d’appel seront jugées aux assises !

Quelle réduction des délais de la justice espérez-vous ? Dans les cours criminelle­s départemen­tales, l’audienceme­nt est à six, huit mois. Alors qu’aux assises, la moyenne est de treize mois. Certaines affaires peuvent être jugées trois ans après…

Vous proposez de filmer et de diffuser les audiences. Dans quel but ? Parce qu’on ne peut avoir confiance qu’en ce que l’on connaît. La publicité, c’est un gage du bon fonctionne­ment de la justice dans une démocratie. Il s’agit aussi de montrer aux Français qu’il est plus difficile de rendre la justice dans un tribunal qu’au café du commerce !

Qui prendra la décision d'autoriser – ou non – la télédiffus­ion ?

Il y aura une double validation, de la Chanceller­ie d’une part, du chef de la juridictio­n d’autre part.

Les avocats auront-ils voix au chapitre ? Certains peuvent ne pas être à l'aise avec l'idée de « passer à la télé »…

Les audiences sont publiques mais il y aura une autorisati­on à donner pour que son image soit diffusée. Pour les audiences non publiques, par exemple pour une affaire de divorce, l’accord des parties sera nécessaire pour enregistre­r les débats.

À l’instar de Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale des magistrats, ne craignez-vous pas que la présence d’une caméra puisse influencer ou perturber un procès ? Absolument pas. Je vous rappelle que seules les affaires ayant connu leur épilogue judiciaire seront diffusées. Et les caméras devront être discrètes pour se faire oublier. L’objectif de cette réforme, c’est tout sauf du trash !

Comment donner aux téléspecta­teurs les « codes » pour leur permettre de comprendre ce qui se joue sur l’écran ?

Je souhaite qu’un magistrat, un avocat, un policier par exemple, puissent intervenir à l’écran pour expliquer tout cela après la diffusion du procès.

Autre point critiqué : la fin des réductions automatiqu­es de peine. Certains de vos anciens confrères dénoncent une mesure "populiste"…

[Agacé] Je n’ai pas envie de commenter ces réflexions… La réalité aujourd’hui, c’est que lorsque deux hommes sont condamnés pour la même faute, si l’un travaille à sa réinsertio­n et que l’autre ne fait rien, ils auront les mêmes crédits de peine. C’est incompréhe­nsible. Je souhaite qu’il n’y ait plus qu’un système de réduction des peines lié aux efforts consentis par les détenus et à leur comporteme­nt. Bien sûr, ces efforts doivent être appréciés à l’aune du parcours de chacun. Pour certains, apprendre à lire, se soigner, voire se lever le matin, c’est un effort…

‘‘ Pour certains, se lever le matin, c’est un effort...”

Concernant les mineurs, que proposez-vous ? Aujourd’hui, on peut commettre un délit à  ans et être jugé à . Cela n’a aucun sens d’un point de vue pédagogiqu­e. J’ai porté, il y a deux mois, la réforme de l’ordonnance de  qui sera effective à compter de 1. Centre de recherches politiques de Sciences Po est une unité mixte de recherche sous la tutelle de l’IEP de Paris et du CNRS..

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(Photo doc Dylan Meiffret) Pour le garde des Sceaux, « il s’agit aussi de montrer aux Français qu’il est plus difficile de rendre la justice dans un tribunal qu’au café du commerce. »

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