Var-Matin (Grand Toulon)

« J’ai lancé ma carrière ici»

Jean Alesi s’est prêté au jeu des questionsr­éponses avec nos internaute­s hier matin. Extraits.

- Propos recueillis par : Laurent SEGUIN et Denis CARREAUX Photo : Dominique Leriche

‘‘ Quatre ou cinq pilotes ont tout pour être champions du monde”

Un peu perturbé, presque agité, fouillant sa poche gauche, puis la droite, avant de replonger la main dans la première, Jean Alesi était à la recherche de ses clés de voiture, hier matin, quand nous l’avons retrouvé à son hôtel, en face du circuit du Castellet. Deux, trois coups de fil donnés, un passage éclair par sa chambre, avant un renoncemen­t. « Elles doivent bien être quelque part », a fini par soupirer l’Avignonnai­s. Il faut dire que l’heure tournait et que celui qui s’est imposé en 1995 sur le Grand Prix du Canada ne voulait pas faire attendre nos journalist­es du jour. Des passionnés de F1 avec lesquels Jean Alesi avait rendezvous sur nos sites internet pour une demi-heure de questions-réponses. Autour de la F1 bien sûr, du Grand Prix de France évidemment, mais aussi pour nous donner les clés de ce week-end varois. À défaut d’avoir sous la main celles de son auto. Qu’il a fini par retrouver…

N'y a-t-il pas un peu de nostalgie en revivant ce Grand Prix de France au Paul-Ricard ?

De la nostalgie, non, mais du plaisir. C'est là où j'ai eu mes premiers frissons. J'ai fait mes premiers tours avec une monoplace sur ce circuit, à l'école de pilotage Winfield. Et c'est surtout le circuit de mon premier grand prix en F (le  juillet ).

Je ne devais faire qu’une course (en remplaceme­nt de Michele Alboreto sur une Tyrell) et comme je l’ai finie à la quatrième place, j’en ai fait deux cents autres derrière. Le Paul-Ricard a lancé ma carrière.

Que regrettez-vous de l’époque où vous courriez par rapport à la Formule  d’aujourd’hui ?

La F d'aujourd'hui a une variante extraordin­aire, c'est la fiabilité que nous n’avions pas à l'époque. Les voitures étaient exceptionn­elles à piloter, il fallait se battre pour les garder sur le circuit, mais elles étaient très peu fiables. Aujourd'hui, quand on voit qu'ils ont trois moteurs pour toute la saison, c'est impression­nant. Il y a moins d'abandons, plus de voitures à l'arrivée, un gros suspense pour la qualif... et la bagarre est belle cette année. C'est un championna­t très disputé avec la lutte entre Red Bull et Mercedes.

Ce circuit est le moins intéressan­t, je ne regarde plus ce grand prix, mais personne n’ose le dire. À quand des modificati­ons ?

La question est un peu dure pour le circuit. Il n'est pas inintéress­ant, bien au contraire. C'est un des seuls circuits où l’on a vu des dépassemen­ts sans le DRS. Je repense à ceux dans le double droite du Beausset, il y a deux ans.

Ce qui l’a peut-être rendu inintéress­ant à vos yeux, c'était son scénario. Avec la domination de Mercedes, et le fait que Vettel ait endommagé sa voiture dès le premier virage. Il y a deux ans, un des grands prix les plus intéressan­ts de la saison avait été Portimão (au Portugal). Cette année, c'était le moins palpitant. Il faut juste croiser les doigts pour que les voitures soient proches ce week-end et, surtout, intactes à la sortie du premier virage.

Quel pilote d’une autre génération que la vôtre (avant ou après) auriezvous souhaité avoir comme adversaire ? Verstappen. C'est un attaquant. Se battre avec des pilotes qui ne lâchent jamais, comme Schumacher ou Senna, ce sont les meilleurs souvenirs de ma carrière. C’étaient des bêtes de grand prix. C'est ce que j'aimais. Et je ne dis pas que Verstappen est une tête brûlée, mais il a cette attaque qui fait qu'il ne lâche rien. Être tête brûlée en F, ça ne marche d’ailleurs pas. Du moins pas longtemps…

Quelle est la tactique la plus adaptée pour un pilote qui ne possède pas la monoplace la plus performant­e au Ricard ? C'est comme ailleurs. La variante principale, c'est la météo. S'il y a des conditions changeante­s avec un départ sous la pluie et une piste qui sèche, un pilote avec une voiture de moindre performanc­e peut s'en sortir. En inventant quelque chose.

Selon vous, la F est elle aussi plaisante et spectacula­ire à regarder que dans le passé ?

Je pense. Ce qui est beaucoup plus excitant, c'est de voir huit écuries différente­s dans le top  en qualificat­ion. Dans mes années, c'était McLaren, Williams ou Benetton. Il y avait des voitures vraiment imbattable­s. Ce n'est plus le cas. Au niveau des pilotes, c'est pareil. Le Hamilton de ma période, c'est Senna. Vettel, c'est Prost. Et s'il y a un Jean, c'est peutêtre Max… (rires). Et puis nous sommes en train de vivre des années charnière avec l'arrivée de Norris, Leclerc, Russel et, bien sûr, Gasly. Quatre ou cinq pilotes qui ont tout pour être champions du monde, avec la bonne voiture. J'aimerais bien voir ce que pourrait faire Pierre (Gasly) chez Mercedes, à la place de Bottas.

Que pensezvous de la

performanc­e de Lando Norris cette année ? Pensez-vous qu'un titre de champion du monde est possible avec McLaren ?

C'est possible, mais pas cette année. C'est un garçon qui impression­ne. Il fait une très belle saison avec une auto que son coéquipier, qui est pourtant un monstre (Ricciardo), ne parvient pas à exploiter. Il y a des signes qui ne trompent pas. Il a le potentiel pour être champion du monde un jour.

N’existe-t-il pas une forme de frustratio­n avec des voitures certes avec toujours plus sûres pour les pilotes, mais du coup de plus en plus aseptisées ?

Elles sont aseptisées, mais c'est nécessaire pour qu'elles soient sûres. Ça a sauvé la vie de Romain Grosjean lors de la dernière course de la saison passée. C’est comme sur la voiture de « Monsieur tout le monde », il y a aujourd'hui beaucoup d'assistance­s. Une Golf GTI de  n'est pas celle d'aujourd'hui. La F, c'est pareil.

Que pensez-vous des dégagement­s en dur présents sur tous les circuits et, notamment, sur le Castellet, qui a été l’un des premiers à en avoir ? Aujourd'hui, il y a une dérive. Il y a de plus en plus de plaintes de « track limit » (lorsque les pilotes utilisent ces zones de dégagement pour doubler ou gagner du temps). Et je vous l’annonce dès aujourd’hui, il y en aura beaucoup ce week-end. Les sanctions de la FIA doivent donc être plus claires et moins aléatoires. Il va falloir que le directeur de course soit très rigoureux ce week-end. C'est l'arbitre de la course, avec un système VAR à dispositio­n en permanence et il doit être strict, sinon ça peut être une grosse dérive. Ça ne doit pas fausser la course. En Moto GP, dès qu'ils touchent le vert (dès qu’ils mordent hors de la piste), c'est fini.

Comment voyez-vous l'évolution de la F ?

On a pris une année de retard, avec la Covid, pour la nouvelle réglementa­tion. Il faut attendre cette voiture nouvelle génération qui sera vraiment une nouvelle F. Il va falloir bouger avec beaucoup de calme car, aujourd’hui, le produit abouti est bon, et il y a de belles courses. Les teams devront s'adapter avec des voitures financière­ment plus raisonnabl­es.

Ne pensez-vous pas que nos pilotes français auront du mal à avoir un baquet de top niveau compte tenu de la présence de Leclerc, Verstappen et Hamilton dans les grosses écuries ? Heureuseme­nt, il n'y a pas un seul pilote par équipe. Mais le fond du problème, c'est que certains teams managers ont des pilotes sous contrat. Sur le papier, entre Russel et Gasly, on prend Pierre

(pour remplacer Bottas chez Mercedes). Or ça risque de ne pas être le cas parce que Toto Wolf

(manager de Mercedes) est le manager de Russel.

Est-ce que Perez a une chance d’aller taquiner Verstappen et Hamilton dans la lutte pour le titre ?

C'est un garçon qui a énormément de pression, mais elle ne l'atteint pas. Claquer des victoires (une l’an dernier et une cette saison) comme il le fait, c’est très fort. Mais non, il ne pourra pas se mêler à la lutte.

Que devenez-vous, Jean ? Vous nous manquez trop en F...

Je suis toujours sur les grands prix, et plus que jamais cette année puisque je travaille avec la FOM (Formula One Management). Le pilotage, c'est derrière moi. Cette année, j'ai fait le grand prix historique de Monaco. Et je vous annonce que je reviendrai l'année prochaine, car j'ai des comptes à régler ! (en tête de la course en Principaut­é, il s’est fait sortir de piste par l’Allemand Marco Werner).

A-t-on une chance de vous voir participer aux  heures du Mans avec, pourquoi pas, votre fils Giuliano comme coéquipier ?

Ça serait beau mais, concrèteme­nt, les voitures des  Heures ont des performanc­es importante­s. Il faut pouvoir tenir le coup physiqueme­nt. Giuliano a  ans, j'en ai … Pouvoir rester dans les deux secondes sans pénaliser l'équipage, je ne suis pas certain de pouvoir le faire. Mais ce n'est pas un non. Il faut pouvoir l'évaluer…

Votre fils peut-il, après son passage en monoplace au Japon, espérer encore entrer en F un jour ?

Quand on voit le scénario, il y a les pilotes qui n'ont pas acheté leur place, mais une équipe ! Si la F n'appelle pas, il ne faut pas rêver. Aujourd'hui, les Japonais adorent Giuliano. Alors revenir pour espérer un « peut-être », il ne faut pas le faire. Mais si on l'appelle, bien sûr !

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