Xavier Pasco : « L’espace, un point de vulnérabilité »
Invité de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques, ce docteur en sciences politiques a brisé des mois de confinement en parlant de l’espace et des enjeux stratégiques qui s’y déroulent.
Depuis son départ le 23 avril dernier pour la station spatiale internationale, le spationaute français Thomas Pesquet nous fait rêver avec ses magnifiques photos de la « planète bleue » vue d’en haut. Mais l’espace est aussi cette « nouvelle frontière » qui aiguise l’appétit des grandes puissances. Décryptage avec Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.
Dans les années -, l’espace a été un lieu d’affrontement idéologique, une vitrine de la puissance respective de l’Union soviétique et des États-Unis. Soixante ans plus tard, on a l’impression qu’on revient à cette époque.
Dans les années , dans un contexte de guerre froide, l’espace était effectivement un lieu d’affrontement des modèles, une course au prestige. Mais il ne faut pas négliger un deuxième point, l’espace est un peu le fils du nucléaire. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on invente le missile balistique avec l’arme nucléaire. L’arme ultime en quelque sorte. URSS et USA se rendent alors compte qu’ils sont vulnérables à une attaque surprise. Cette menace devient leur obsession, avant même d’envoyer un homme dans l’espace. Dès , des rapports insistent d’ailleurs sur le fait qu’il faut trouver des moyens pour surveiller ce qu’il se passe, détecter rapidement une attaque éventuelle. Américains et Soviétiques vont alors construire en masse des satellites de toutes natures (d’observation, espion, d’écoute, de détection de test nucléaire), et les fusées pour les lancer. Toute une infrastructure va se mettre en place dans ces deux pays, de gros budgets vont être consacrés à ces besoins militaires nouveaux. C’est la naissance de l’espace stratégique. C’est-à-dire que l’espace devient une composante de ce qu’on va appeler la dissuasion mutuelle. Il va aider à gérer la relation bilatérale sur des décennies.
Malgré tout, à un moment, sous Reagan notamment, on a parlé de « guerre des étoiles ». C’était sérieux ? Y a-t-il des risques qu’on y arrive ?
Dans ce contexte de menaces réciproques, Ronald Reagan était contre le système de dissuasion mutuelle. Alors qu’on était encore dans la guerre froide, le président américain était favorable à la réalisation d’un bouclier antimissiles. Il va donc encourager, financer les recherches. Même si l’objectif n’a pas été atteint, cette course à l’armement a contribué, dit-on, à accélérer la chute de l’Union soviétique qui n’avait pas les moyens suffisants pour concurrencer les États-Unis. En tous les cas, à l’intérieur de l’Union soviétique, la jeune génération s’en est servie pour dégager l’ancienne. Avec l’effondrement de l’URSS, qui a marqué la fin de la guerre froide, les États-Unis se sont aperçus qu’ils étaient désormais la seule puissance dominante, et qu’ils auraient sans doute à intervenir sur des théâtres régionaux majeurs pour imposer la Pax Americana dans tous les coins de la planète. Ils ont donc engagé toute une réflexion sur le reformatage de leurs forces armées. Toujours en gardant un oeil sur la Russie. Et finalement tout ce qui avait été développé pour la guerre froide, pour surveiller les silos de missiles soviétiques, va être adapté aux nouveaux besoins militaires qui consistent notamment à aider les combattants sur les champs de bataille...
Puis est survenu l’attentat des tours jumelles à New York. Au nom du Homeland Defense, les États-Unis ont alors basculé dans l’idée d’un espace sécuritaire où il faut tout surveiller, tout voir, tout savoir.
‘‘ Une volonté grandissante de contrôler l’espace ”
‘‘ Vers une industrialisation de l’espace ? ”
Qu’est-ce que l’irruption dans l’espace de nouvelles puissances telle que la Chine, a-t-elle changé ?
La Chine, pays que les États-Unis appellent leur « compétiteur stratégique »... On n’est plus du tout dans la même configuration que pendant la guerre froide où, finalement, la relation bipolaire calmait le jeu. Désormais, les grandes puissances ont bien noté que leur efficacité militaire reposait sur l’espace. L’espace est vu par les militaires comme un point de vulnérabilité potentielle et finalement comme une cible potentielle à atteindre en cas de conflit. Et cette réalité nouvelle conduit les uns et les autres à vouloir se doter de moyens de contrôler l’espace. D’aucuns parleront d’armes spatiales. Si des tests antisatellites avaient été réalisés par le passé par les Soviétiques et les Américains, la destruction par la Chine, le janvier , d’un de ses satellites à l’aide d’un missile a eu l’effet d’un électrochoc. Aux USA, on s’en est servi en pointant du doigt les ambitions chinoises de contrôler l’espace. La nouvelle ère qui arrive aujourd’hui, c’est l’espace contrôlé. Après l’espace stratégique, l’espace au service du champ de bataille, l’espace sécuritaire, une quatrième strate – l’espace contrôlé – vient s’empiler.
La nouvelle armée de l’air et de l’espace française découle de cette nouvelle réalité ?
Tout à fait. Même si la France a beaucoup moins de satellites que les USA ou la Chine, elle en a quelques-uns. C’est une des rares puissances européennes qui a un espace militaire, qui a une force de dissuasion. Et, de plus en plus, grâce à ses propres moyens spatiaux, elle peut mener des opérations extérieures. Aujourd’hui, si vous n’avez pas ces moyens d’observation et de télécommunications, vous ne faites pas d’opération au Mali de manière souveraine. La France a cette particularité. Mais alors que la dépendance à l’espace s’accroît, on constate que l’espace est un environnement de moins en moins clair, de plus en plus risqué. Outre les tensions entre des grandes puissances, de nouveaux acteurs privés arrivent et envoient toujours plus d’objets dans l’espace. L’espace est un milieu où tout le monde vit en interdépendance. Si un acteur spatial se comporte mal, tout le monde en paye le prix. Cette interdépendance oblige à une forme de sécurité collective. Des discussions parfois vives pour savoir comment organiser cette gouvernance collective ont lieu. Dans ce contexte, il était important que la France se dote d’un vrai commandement de l’espace.
Que faut-il alors penser de la vision de l’espace que nous renvoie Thomas Pesquet avec ses magnifiques photos quotidiennes ?
La composante prestige de l’espace existe toujours et c’est bien. L’espace intéresse les militaires, certes, mais pas que. L’agence spatiale européenne est destinée à des programmes de découverte scientifique, à l’exploration. C’est très important parce que ça montre une capacité de mobiliser des ressources scientifiques, d’être leader dans ces domaines-là sur la scène internationale. Ça a du sens politiquement. Et puis si l’on prend l’exemple du programme lunaire, sans parler de l’exploitation des ressources extraterrestres, il s’agit d’un projet visant à occuper l’espace terrelune de manière plus permanente, plus constante, grâce à de nouvelles technologies qui vont permettent de construire une station lunaire, avec des dépôts de carburant pour des fusées qui feront la navette. Il y a des intérêts considérables, des industries prêtes à ça (Space X…). Thomas Pesquet est en quelque sorte un pan de cette activité spatiale qu’est l’exploration humaine, mais une exploration de plus en plus connectée, avec une vision de développement industriel dans l’espace.