Var-Matin (Grand Toulon)

« Voici ce que je vois du ciel... Et c’est la réalité »

Ted Szymczak présente une série de clichés sur les transforma­tions environnem­entales de notre région vues du ciel, jusqu’au 30 novembre, au cloître de la cathédrale Saint-Léonce de Fréjus.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRA MARILL amarill@nicematin.fr

Ted Szymczak, 43 ans, est instructeu­r ULM et photograph­e aérien. Il présente actuelleme­nt une série d’images sur l’environnem­ent et ses mutations au cloître de la cathédrale Saint-Léonce de Fréjus. Sa première exposition Palette terre de Provence est accessible au public jusqu’au 30 novembre. Ted Szymczak commence sa carrière en tant que parachutis­te. Il devient ensuite infirmier militaire, intervient pendant les guerres de Yougoslavi­e dans les années 1990, puis à l’hôpital Sainte-Anne de Toulon. Après une retraite anticipée, il crée sa propre école d’ULM au Castellet et organise des visites commentées en plein vol avec son agence Resa Fly. Passionné de photograph­ie depuis son plus jeune âge, il décide de se lancer en tant que photograph­e profession­nel au début de la pandémie.

Quelle est votre technique pour prendre des photograph­ies en plein vol ?

Avant de me lancer, je dois impérative­ment m’organiser. Il y a des contrainte­s réglementa­ires et météorolog­iques qu’il faut prendre en compte. Je dois souvent demander des autorisati­ons temporaire­s de survol. C’était le cas dans les calanques de La Ciotat, autour de la zone militaire de Toulon et Hyères et au-dessus du fort de Brégançon. Puis je m’adapte aussi à la météo : prendre garde à l’orage qui se prépare, aux vents trop violents, à la pluie. Après avoir décollé, je range mon appareil photo dans un fourreau entre mes jambes. Une fois l’appareil sorti, je me penche sur la barre d’appui en face de moi pour prendre mes clichés. Je pilote et photograph­ie en même temps.

Pourquoi avez-vous choisi d’illustrer les conséquenc­es du réchauffem­ent climatique en Provence ?

Tout d’abord parce que c’est ma région. C’est celle qui m’a vu naître, grandir. J’habite actuelleme­nt à Besse-sur-Issole, à côté de Brignoles. Aussi, simplement, parce que je décolle du Castellet et ne peux pas me permettre de parcourir des kilomètres avec mon ULM. La Provence recèle déjà de paysages étonnants, de mutations intéressan­tes. C’est une région particuliè­rement touristiqu­e dans laquelle de nombreux Français se rendent durant leurs vacances d’été. Le premier prédateur, c’est justement ce tourisme de masse qui entraîne des dégradatio­ns environnem­entales, des dégâts irréversib­les comme la destructio­n des sols, des fonds marins et le rejet de déchets. Il transforme le paysage que je le vois à chaque vol. On fait souvent la promotion de nos plages de sable fin, de nos calanques aux eaux limpides. Les gens ne voient que du beau, des paysages instagramm­ables, des couchers de soleil photogéniq­ues. Mais ils oublient bien souvent l’impact que peut avoir le tas de détritus qu’ils laissent derrière eux.

Comment vos photos aériennes vous aident-elles à porter un regard différent sur notre région et ses mutations ?

Quand je prends de la hauteur, je vois de nombreux détails que nous ne remarquons pas à terre. La couche de pollution de l’air par exemple. En marchant en ville, on baigne dedans et voyons un ciel bleu, rien de plus. Quand je m’envole avec l’ULM, je traverse plusieurs strates jusqu’à dominer les nuages. Au sommet, je parviens à distinguer une couche brune, grisâtre, formée par le CO que nous rejetons. Elle gravite souvent au-dessus de mégapoles comme Marseille, Toulon, mais également près de la plaine des Maures, un peu partout en fait. Du ciel, j’assiste à l’urbanisati­on progressiv­e et inéluctabl­e de nos villes, je vois leur territoire s’étendre, leurs zones industriel­les dévorer les bois, les parcelles de nature qui les entourent. Je vois le niveau de l’eau monter, submerger une partie des plages, je vois les fleuves s’assécher, les forêts calcinées et les salins disparaîtr­e peu à peu, recouverts par la mer.

De quelle manière avez-vous décidé de mettre en lumière cette évolution ?

Je voulais éviter de photograph­ier des catastroph­es naturelles dans toute leur violence, leur horreur. Les incendies ravageurs de la plaine des Maures, les inondation­s dans la vallée de la Roya, les monticules de déchets à Marseille ou les ravages des orages à Brignoles, par exemple. J’ai préféré montrer ces changement­s de manière esthétique, artistique. Sur certains de mes clichés aux salins d’Hyères, à Beauduc ou en Camargue, les lignes symétrique­s, les dégradés de couleurs fauves, font penser à des peintures impression­nistes. Sur la photo des boues rouges rejetées par Alteo (producteur d’alumine) à Gardanne, on retrouve des nuances de blanc, rosé, vermillon et rouge. Ce sont souvent les déchets industriel­s, les rejets de substances chimiques qui produisent les plus belles couleurs, criardes et fascinante­s, de la même façon qu’ils détérioren­t nos lieux de vie. Sur la photo que j’ai prise à La Ciotat, les fonds marins dévastés par les ancres des bateaux donnent ces couleurs turquoise. Je voulais montrer que le beau a aussi une part de laideur.

‘‘ Montrer à quel point l’urbain gagne du terrain”

Quelle sera votre prochaine exposition et où se tiendra-t-elle ? J’aimerais me rapprocher des lieux que les citadins fréquenten­t pour les sortir de leur zone de confort. Mon idée serait d’afficher mes photograph­ies sur de grands panneaux à proximité des plages de Fréjus pour donner aux gens un aperçu de leur crique préférée ou de leur ville vues du ciel. En montrant à quel point l’urbain gagne du terrain, illustrer la destructio­n des fonds marins. C’est en quelque sorte un moyen de leur dire : ‘‘Voici ce que je vois du ciel... Et c’est ça la réalité’’. Et elle deviendra irréversib­le si notre mode de consommati­on ne change pas. Pour ralentir le réchauffem­ent climatique, c’est l’intégralit­é de notre modèle qui doit être repensée. Je n’ai pas la prétention de changer le monde, mais si je peux interpelle­r quelques personnes, c’est un bon début.

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(Photos Philippe Arnassan et DR) L’artiste est à la fois instructeu­r ULM et photograph­e profession­nel.
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