Sylvia Pinel : «Une gauche reste dans l’utopie…»
La présidente du PRG porte à la primaire le message d’une gauche qui se veut de gouvernement, solidaire mais réaliste, soucieuse des équilibres et qui ne promet pas plus qu’elle ne pourrait tenir
Sylvia Pinel défend à la primaire le projet du Parti radical de gauche, qu’elle préside depuis bientôt un an. A l’instar de Manuel Valls, elle y incarne une gauche qui se veut de mouvement, d’adaptation, carrée, campée sur le sérieux budgétaire et soucieuse d’accompagner les entreprises. Une sorte d’anti-Hamon, dont elle ne se prive d’ailleurs pas de fustiger la proposition de revenu universel, jugée totalement utopique.
Vous aviez d’abord décidé d’être candidate directement à la présidentielle. Pourquoi avoir rejoint la primaire?
Lorsque François Hollande a décidé de ne pas se représenter, notre parti s’est réinterrogé sur sa stratégie. On considérait la présence du Président sortant comme une anomalie dans une primaire. Dès lors qu’il a renoncé, nous nous sommes retrouvés dans la même situation qu’en , quand nous avions déjà participé à la primaire de gauche.
Tout comme Manuel Valls, vous défendez crânement le bilan de François Hollande…
Je suis cohérente. J’ai été sa ministre quasiment quatre ans. Et même si je peux avoir des nuances sur l’action qui a été menée, je considère que beaucoup de choses ont été faites par rapport à la situation que nous avons trouvée. Ce quinquennat a permis de redresser notre situation économique, de préserver notre modèle social, de renforcer l’école de la République, de pérenniser certains services publics dans des territoires ruraux, de relancer la politique du logement. On a fait des choses. Je ne peux pas accepter qu’une partie de la gauche ne soit pas solidaire de ce bilan, même s’il reste beaucoup à faire.
Votre sentiment sur les deux premiers débats ? Deux gauches sont-elles en train de rompre ?
Il y a des nuances, des divergences, des différences. Je crois pour ma part en une gauche moderne, solidaire, avant-gardiste. Je constate toutefois qu’une gauche reste dans l’utopie et qu’elle n’est ni responsable ni sérieuse. Quand on fait des promesses inconsidérées, il faut savoir qu’elles engendreront soit de très fortes augmentations d’impôts, soit une aggravation des déficits qu’on devra faire porter sur les générations futures. Ce n’est pas ce que je souhaite.
Vous êtes l’une des rares à préconiser le strict respect des % de déficit. Pourquoi ?
Parce que je crois que le sérieux budgétaire est aussi le gage d’une République efficace. Je ne peux pas accepter qu’on laisse courir nos déficits pour les reporter sur les générations futures, ce n’est pas ça une bonne gestion. Nous devons faire en sorte de relancer l’économie sans aggraver nos déficits, avec des mesures qui s’équilibrent largement. C’est ce que je propose avec la réforme de l’impôt sur les sociétés ou en faisant en sorte de privilégier les CDI plutôt que les CDD, en ayant toujours une vision globale.
Baisse des charges des sociétés, soutien accru aux petites entreprises… Votre projet est assez proche de celui de Macron, finalement ?
Non. Les baisses de charges ne sont pas identiques chez Emmanuel Macron et chez moi. La différence majeure, c’est que je considère que la politique familiale ne doit pas être financée par les entreprises, je la reporte sur la Sécurité sociale, alors que lui garde cette charge. Je veux en outre réformer en profondeur l’impôt sur les sociétés, en baissant son taux avec des barèmes progressifs en fonction des bénéfices et en élargissant fortement son assiette. Cela signifie que tous les bénéfices réalisés à l’étranger seront soumis à l’impôt sur les sociétés, ce qui nous permettra aussi de lutter contre les paradis fiscaux. Autre différence, je ne préconise pas d’augmentation de la CSG, une contribution qui pèse déjà plus lourd que l’impôt sur le revenu.
Votre vision du temps de travail ?
Je ne veux pas raviver la guerre des h. La loi a permis de tenir compte de certaines spécificités des entreprises. Mais il y a deux points sur lesquels il faut travailler : quand une entreprise connaît des difficultés passagères et demande à ses salariés une baisse de rémunération ou une augmentation du temps de travail, il faut obligatoirement que figure dans l’accord d’entreprise une clause d’intéressement aux bénéfices de l’entreprise lorsque la situation s’améliorera. Pour Sylvia Pinel, ans, présidente du PRG.
lutter contre la précarité au travail, je veux aussi inciter les employeurs à recruter en CDI plutôt qu’en CDD. Avoir un CDD, c’est en effet beaucoup de freins dans sa vie personnelle, pour l’accès au logement en particulier. Pour les salariés les moins qualifiés, jusqu’à deux Smic, cela passerait par un crédit d’impôt de , % sur la masse salariale.
Le revenu universel, pour vous, en revanche, ça n’a pas de sens ?
Le revenu universel, c’était une proposition des radicaux il y a environ vingt-cinq ans. C’était à l’époque… Aujourd’hui, ça reste une utopie dans le contexte économique actuel. C’est une idée de philosophe, ça n’est pas réaliste. Quand vous voyez que le revenu universel coûterait autour de milliards et que le budget de l’Etat se monte à milliards, ça ne nécessite pas de longs développements. Il faut être sérieux, on ne peut pas proposer comme ça des idées séduisantes sur le papier mais qui conduiraient soit à alourdir une pression fiscale déjà élevée, soit à laisser courir les déficits, voire les deux. Ce n’est pas ma vision de la politique.
Vous voulez rendre l’école obligatoire dès trois ans. En quoi cela améliorera-t-il le niveau de nos enfants ?
Je veux rendre obligatoire
l’école maternelle parce qu’elle est trop souvent une variable d’ajustement lorsqu’on manque d’enseignants. Je ne veux plus qu’elle fasse les frais des réductions de postes ou des redéploiements. Je propose donc de la rendre obligatoire dès trois ans, pour garantir aux enfants un meilleur apprentissage. L’école maternelle mérite notre reconnaissance, c’est une étape indispensable dans l’éducation et la construction des tout-petits. Certains acquis fondamentaux se jouent dès le plus jeune âge, sans parler de la socialisation de l’enfant, du vivre ensemble, de l’échange, de la mixité.
Le PRG est très attaché à la laïcité. Ce que vous proposez pour la défendre (maisons de la laïcité dans les régions, mission interministérielle, inscription au patrimoine de l’Unesco), sonne toutefois un peu creux…
La mesure la plus forte, que vous n’avez pas citée, est pour moi la constitutionnalisation de la loi de . Et puis la laïcité, c’est surtout un travail au quotidien, ce ne peut pas être un catalogue de mesures. Il faut la défendre, la porter. Son renforcement passe d’abord par l’école, c’est pourquoi je propose que les enseignants soient mieux formés à cette question, difficile à expliquer aux enfants.
Comment fonctionneront les centres de déradicalisation que vous proposez ?
Il y a aujourd’hui dans notre pays des foyers de radicalisation. Ce que j’ai vu, dans ma propre région, c’est souvent des familles déboussolées, qui ne savent pas où s’orienter pour accompagner leurs proches qui se radicalisent. Je préconise donc des petites unités, avec un maillage suffisant sur tout le territoire, qui soient en mesure d’accompagner des familles démunies face à la radicalisation. Avec une équipe pluridisciplinaire, travailleurs sociaux, psychiatres, psychologues, éducateurs, un peu comme ce qui a été fait pour les mouvements sectaires. Sur ce sujet-là comme sur d’autres, il faut prendre en compte les spécificités des territoires. Tout ne se joue pas à Paris ou dans les grandes villes.
Sur le droit de vote, vous allez très loin. Vous voulez l’accorder aux étrangers aux élections locales mais aussi nationales. Est-ce bien réaliste, pour le coup ?
On parle beaucoup de vivre ensemble. Si on ne permet pas aux étrangers résidant en France depuis plusieurs années (trois ans dans son projet, ndlr) de s’exprimer au moment des grands débats démocratiques qui rythment la vie de notre pays, on ne parviendra pas à cet objectif de citoyenneté. La laïcité, on y revient, c’est aussi le respect à l’égard de chacun. Le fil conducteur de mes convictions se retrouve dans chaque mesure que je propose, quand on parle de l’égalité entre citoyens, entre les hommes et les femmes. C’est un ensemble pour parvenir à rassembler les Français.
Ne pas raviver la guerre des heures”