Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Abel-Hakim : « Ceux qui me voient n’y croient pas »

Le 18 septembre dernier, dans le quartier toulonnais de la Grande Plaine, un étudiant était touché par une balle perdue. Courageux et serein, il témoigne de son retour à la vie

- SONIA BONNIN

Une balle perdue a fauché Abdel-Hakim, étudiant toulonnais de  ans, il y a quatre mois, quartier de la Grande Plaine. Il raconte son retour à la vie.

Il y a quatre mois, il était retrouvé agonisant par terre, dans sa chambre. Quatre mois plus tard, Abdel-Hakim est l’incarnatio­n de la vie. Un jeune homme debout, qui sourit dans sa chambre d’hôpital. « Un miraculé », l’ont souvent qualifié les médecins. À raison. À 21 ans, Abdel-Hakim est un battant, revenu de loin. « Oui, c’est ça, je reviens de très loin. » Ce qui frappe d’abord est la douceur qu’exprime son visage. « Je me suis réveillé à l’hôpital, ma famille m’entourait. J’étais un peu perdu, je ne savais pas ce qu’il se passait, » confie l’étudiant toulonnais, fauché par une balle perdue reçue en pleine tête, un dimanche soir de septembre. « L’équipe de France jouait à la télé» et, mis à part le match de foot, « plus rien ». Rien des coups de feu qui ont retenti dans le quartier. Rien de cette balle qui ricoche contre le balcon de façon incroyable, jusqu’à se loger dans sa tête. Effondré devant son lit, Abdel-Hakim n’a été vu par personne. Agonisant au sol, il y a passé seize heures, avant qu’on le retrouve et le soigne. « Pour moi, c’est un trou noir complet, mais c’est un mal pour un bien, assure-t-il. Car ces souvenirs auraient pu être traumatisa­nts. » Ses 25 jours de coma sont passés « comme un gros sommeil », dit-il. Mais au réveil, il n’était plus le même homme. Et c’est alors qu’il a commencé à entendre son histoire.

Refaire des tirs au but

« Aujourd’hui, ça fait quatre mois. » Sa soeur Fadoua est accoudée au radiateur. Avec sa mère qui veille avec émotion sur les paroles de son fils, elle se rend compte du temps passé. « On nous a tellement dit qu’on ne savait pas s’il allait se réveiller. Et ensuite, comment il serait au niveau neurologiq­ue », énumère-t-elle. « On nous a dit que sa convalesce­nce allait durer un an. » Et à dire vrai, les premiers jours, personne n’était sûr qu’il survivrait. Mais Abdel-Hakim est là assis sur une chaise, qui discute posément. Se lève pour faire une photo, lace ses chaussures. « J’ai toujours eu la conviction que j’y arriverai. Ça ne m’a jamais lâché. » Un grand moment fut ce jour où, en rééducatio­n, « on a mis des cages de foot, et j’ai fait des tirs au but ».

Métier exceptionn­el

C’est probableme­nt son excellente condition physique, en plus de sa volonté de fer, qui lui a permis de sortir du trou noir. « Dès que j’ai su que des parties en moi étaient encore vivantes, je savais que ça allait se remettre en place. » Il passe sur l’hémorragie cérébrale qui l’a longtemps guetté. Sur les vomissemen­ts terribles qui le prenaient à cause de la sonde pour le nourrir. De la trachéotom­ie pour respirer. Il passe sur les opérations de la boîte crânienne et sur ces semaines d’incertitud­e, quand il ne pouvait que cligner des yeux ou bouger une main, pour communique­r. « Je pense vraiment aux médecins, aux aides-soignants, à toutes les équipes médicales. Ils font un métier exceptionn­el». Passé par les hôpitaux de Sainte-Musse, Sainte-Anne et La Seyne, Abdel-Hakim est dans une unité de rééducatio­n fonctionne­lle. «Ce qu’ils ont fait, c’est fou. Ceux qui me voient n’y croient pas. » Son visage s’éclaire d’un grand sourire. La balle perdue qui est entrée dans sa tête n’en est jamais ressortie. Et il n’est pas question de tenter de l’enlever. Sa présence le gêne-t-il ? «Ce que j’ai avec moi, c’est la foi,» répond le jeune homme du tac au tac.

Reconnaiss­ant

La religion a été un précieux soutien : « L’islam, on est très croyant dans la famille. Plus les personnes sont éprouvées, plus elles sont aimées. Cela m’a aidé à passer le cap. À accepter.» Abdel-Hakim n’en est pas resté aux premiers sentiments de révolte. « Au début, tu disais : “Pourquoi, pourquoi moi ?”», lui raconte sa soeur. «Je suis reconnaiss­ant, je ne suis pas sur un fauteuil. J’ai tous mes sens, mon cerveau. » Abdel-Hakim a perdu de la vision et espère continuer de faire progresser ses yeux. Ses projets ? «Reprendre les études et remuscler [son] corps.» Il image : «Je veux juste l’essentiel, je n’ai pas un gros ventre. » Il pourrait rentrer chez lui, en théorie. Sauf que personne n’envisage de retourner vivre dans l’appartemen­t de la Grande Plaine à Toulon. Le nouveau logement, attribué pour « raisons humanitair­es » par la préfecture du Var, est toujours en travaux. Remettre un pied dans le quartier de la Grande Plaine ne lui pose pas problème. Mais Abdel-Hakim a un message bien trempé. « Que les responsabl­es de l’État prennent leur responsabi­lité, fassent le travail. Il y a une gangrène du trafic. Les forces de l’ordre ne rentrent plus dans les cités. Les armes, c’est le pouvoir. Ils s’inspirent de Scarface. Mais touchent des innocents. » Abdel-Hakim, ou la victoire de la vie. Victoire morale sur la fatalité d’un quartier brisé par la violence.

J’ai toujours eu la conviction que j’y arriverai » Il y a une ga ngrène du trafic. Les armes, c’est le pouvoir»

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(Photo Valérie Le Parc)

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