Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Signé Roselyne

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité

Lundi

François Fillon tient ce jour une conférence de presse pour tenter de déminer les accusation­s d’emplois fictifs de son épouse et de deux de ses enfants. Il est douteux que cela suffise à calmer l’emballemen­t qui affecte l’ensemble de la campagne présidenti­elle au grand dommage de la plupart des candidats – y compris Fillon luimême – qui subissent l’incantatio­n injuste du « tous pourris », peinant à rendre audibles leurs propositio­ns et au bénéfice d’une seule, Marine Le Pen, qui voit passés quasiment aux oubliettes les détourneme­nts effectués au détriment du Parlement européen. Il convient maintenant de baisser le bruit du tambour médiatique, de laisser le parquet conclure ses investigat­ions, d’en tirer les conclusion­s éventuelle­ment judiciaire­s et forcément politiques. Par la suite, d’envisager sereinemen­t les modificati­ons qu’il pourrait être utile d’apporter aux règles de fonctionne­ment des assemblées parlementa­ires.

Mardi

Hier soir, Emmanuel Macron s’est invité à une réunion de son mouvement « En marche ! » qui se tenait à Bobino. A cette occasion, il est revenu sur la rumeur qui court depuis des mois les salons et les salles de presse : le sémillant Emmanuel serait homosexuel et entretiend­rait une liaison avec Mathieu Gallet, le patron de Radio France. Avec panache et brio, il a pulvérisé – sous les yeux de son épouse Brigitte – les remugles nauséabond­s qui sortent des officines de la calomnie. Je sais bien que dans une campagne électorale, tous les coups sont permis et j’ai moi-même été l’objet de procédés tellement abjects que le simple fait d’y penser me donne la nausée. J’ai toujours refusé l’utilisatio­n de faits, même avérés, concernant la vie privée de mes concurrent­s et préfère me souvenir de la phrase que m’avait dite un adversaire socialiste : « Quand on se bat contre vous, madame Bachelot, on peut avoir des regrets, on n’a jamais de rancune.» Au-delà des attaques qui touchent Emmanuel Macron, il est possible de tirer plusieurs enseigneme­nts généraux. Tout d’abord, que certains – tout particuliè­rement à droite – pensent que la révélation d’une homosexual­ité, vraie ou inventée, disqualifi­e un politicien ou, comme le député Les Républicai­ns Nicolas Dhuicq, le prétendent soutenu par un « riche lobby gay », montre bien que l’homophobie persiste lourdement dans notre société. Ensuite, la caisse de résonance d’Internet et des réseaux sociaux amplifie le moindre mensonge,

et la victime est totalement impuissant­e devant le développem­ent viral de la calomnie. La presse à scandales prend le relais, et parfois la presse dite sérieuse. Le titre odieux d’un quotidien, le lendemain de la mise au point de Bobino, « Emmanuel Macron mène une double vie avec Mathieu Gallet : la rumeur qui monte » est un chef-d’oeuvre de vilenie. Enfin, le débat s’est ouvert sur l’effet contreprod­uctif que pourrait avoir le fait de porter un démenti sur la place publique. Si l’on pouvait effectivem­ent penser il y a quelques années qu’il fallait traiter ces manoeuvres par l’indifféren­ce pour ne pas leur donner de la résonance, il faut aujourd’hui attaquer de face la bête immonde de la rumeur, car elle a trop de complices passifs et actifs. Emmanuel Macron a raison… au moins sur ce point.

Jeudi

Le magazine lyrique ForumOpéra annonce dans l’indifféren­ce générale la mort de Nicolai Gedda, un des plus grands ténors du XXe siècle. Quand on voit le raffut orchestré autour du décès du moindre pousseur de chansonnet­tes, c’est à décourager d’avoir du talent.

Vendredi

Décidément, le tribunal de l’opinion n’arrête pas d’être convoqué.

Cette fois l’émotion concerne un homme de  ans, Théo L., victime, lors d’une interpella­tion de graves violences policières ayant amené des déchirures anales qui ont justifié la pose provisoire d’une poche de stomie, autrement dit d’un anus artificiel. La polémique tourne autour de la qualificat­ion de viol, mais si l’on veut bien considérer la nature des blessures telles qu’elles sont décrites par son avocat, Eric DupondMore­tti, il est difficile d’imaginer qu’un banal coup de matraque ait pu les causer. La justice devra passer. Au-delà de cette calamiteus­e affaire, ressurgit le serpent de mer de la suppressio­n dénoncée régulièrem­ent de la police de proximité. Pour avoir été l’élue d’un quartier qui, au début des années , avait bénéficié de ces mesures, j’ai pu constater leur inefficaci­té. Déjà, à l’époque, le secteur était structuré autour du trafic de cannabis, ainsi que de la vente d’armes en provenance des Balkans. Une antenne de police fut installée dans un local mis à dispositio­n par la mairie. Ouverte quelques heures par jour, du lundi au vendredi, elle n’accueillai­t pas grand monde, d’autant qu’à leur sortie, les usagers étaient priés de se justifier auprès des « grands frères » qui faisaient régner l’ordre, du moins leur ordre. Les patrouille­s à pied étaient saluées respectueu­sement par les

malfrats puisqu’elles ne gênaient en rien leurs lucratives activités menées dans les caves, les halls d’immeuble et même à l’intérieur des appartemen­ts. Personne n’avait l’idée de se plaindre, d’autant que les organisate­urs de ces trafics avaient monté une sorte de sécurité sociale qui dépannait tel ou tel en difficulté. En vingt ans, les choses n’ont fait qu’empirer: la structurat­ion de certains quartiers autour de trafics illégaux, sur fond de prise en main des conscience­s par les réseaux salafistes, est le problème à résoudre. Quand certains beaux esprits invoquent la nécessité d’offrir du travail à ces jeunes, cette propositio­n fait sourire quand on sait que le moindre guetteur gagne jusqu’à deux ou trois fois le Smic ! Les candidats à la présidenti­elle devront nous sortir autre chose que les éternelles et coûteuses propositio­ns en peau de lapin : animations sociocultu­relles qui ne font que renforcer le communauta­risme, soutiens scolaires inutiles quand l’enseigneme­nt des fondamenta­ux est déficient, stages bidons qui ne débouchent sur aucun emploi, rénovation­s d’immeubles qui ne résolvent rien s’il n’y a pas de mixité sociale. Pour l’instant, aucun de ces candidats n’est sorti de ces obsécratio­ns bienveilla­ntes. Le paysage décrit par les auteurs de science-fiction il y a un siècle ou par Thierry Gaudin dans son livre prophétiqu­e,  : récit du prochain siècle est en train de prendre forme, et les « sauvages urbains » qui cernent les grandes métropoles ont constitué une société parallèle qui n’est plus dans le cercle de la République.

« Que certains pensent que la révélation d’une homosexual­ité, vraie ou inventée, disqualifi­e un politicien montre que l’homophobie persiste lourdement dans notre société. »

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