Var-Matin (La Seyne / Sanary)

 : pénurie alimentair­e dans les Alpes-Maritimes

À l’abri des privations jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie, les Azuréens souffrent des restrictio­ns : lutte pour le pain à Nice, révolte des ménagères à Menton

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En 1917 – il y a un siècle exactement – l’Europe en est à sa troisième année de guerre. La bataille de Verdun, qui s’est déroulée de février à décembre 1916, a fait 700000 morts, celle de la Somme, de juillet à novembre 1916, plus de 400 000. Les population­s n’en peuvent plus. Et pourtant, la guerre va encore durer près de deux années. La nourriture se fait rare. Des tickets de rationneme­nt ont été instaurés dans tout le pays (lire l’encadré en page suivante). Les Alpes-Maritimes n’ont pas connu d’importante­s pénuries jusqu’au milieu de l’année 1915. Car les denrées venaient d’Italie. Mais dès que ce pays est entré en guerre, le 23 mai 1915, rompant l’alliance qu’il avait avec l’Allemagne et attaquant l’Autriche, les provisions ont commencé à manquer. Qui plus est, de nombreux Italiens qui travaillai­ent dans le domaine de l’alimentati­on dans les Alpes-Maritimes ont dû quitter la France pour partir à la guerre dans leur pays. À Nice, soixante-dix pour cent des boulangers étaient Italiens ! Ce chiffre est donné par Stéphane Kronenberg­er dans NiceHistor­ique. Ils étaient soixantehu­it pour cent à Menton, cinquante-neuf pour cent à Cannes, quarante-huit pour cent à Antibes, et quatre-vingt-quinze pour cent à Beausoleil. Quant au village de Fontan, il n’y avait qu’un seul boulanger, il était Italien ! Comment les remplacer ? Il y eut des tractation­s entre la préfecture des Alpes-Maritimes et l’ambassade d’Italie pour accorder des sursis à certains d’entre eux pour qu’ils ne partent pas à la guerre. Certains en ont bénéficié, et ont vite été traités de « planqués » par leurs congénères italiens.

Émeutes pour le pain

Pour que les boulangers travaillen­t, encore fallait-il qu’ils aient de la farine. Or, les AlpesMarit­imes commençaie­nt à en manquer cruellemen­t. Dans son ouvrage sur la Première Guerre mondiale à Nice, Ralph Schor signale que ce départemen­t ne produit plus que 88 000 quintaux de blé par an alors que la consommati­on annuelle est de 500 000. Le complément doit donc venir du reste de la France, arrivant par Marseille. Mais les livraisons sont irrégulièr­es. La presse niçoise s’insurge, estime que la Côte d’Azur est oubliée – et cela bien qu’elle participe à la guerre comme toutes les autres régions françaises, envoyant ses hommes au Front, assurant le soin des blessés dans ses hôtels transformé­s en hôpitaux, et collectant des fonds pour financer la guerre. Coup de gueule de l’Éclaireur de Nice du 2 décembre 1917 : « On peut dire que notre région est actuelleme­nt

à peu près en marge de la vie économique nationale. Si elle était pestiférée, nos gouvernant­s ne la traiteraie­nt pas avec plus de désinvoltu­re… Devant nos besoins d’importatio­n, on dresse administra­tivement et militairem­ent une muraille d’indifféren­ce, de “je-m’en-fichisme” et d’insoucianc­e. Les avoines, les semoules, les foins, les charbons, les denrées alimentair­es que nous attendons et que nous avons, pour la plupart, payées d’avance, demeurent bloqués dans de mystérieus­es stations de silence et de recueillem­ent où tout dort. Et quand on se décide à laisser passer une becquée, c’est tout juste si nous recevons quelques rogatons. Cette situation est intolérabl­e. Elle est dangereuse. Elle est injuste. Elle est contraire à l’intérêt public et à la solidarité nationale ». La raréfactio­n du pain entraîne des émeutes devant les magasins : « Dès huit heures du matin, la plupart des boulangeri­es ont fermé, signale le préfet dans un rapport du 30 décembre 1917. Le pain fabriqué pendant la nuit a été rapidement enlevé. Quelques boulangeri­es, fermées aussi, ont attendu la protection des agents pour ouvrir et procéder à la vente ». Le peuple est à cran. Menton connaît sa « Révolte des ménagères » au cours de laquelle les femmes en colère allèrent renverser les étals des maraîchers, contraigna­nt ceux-ci à aller vendre à Monaco où la situation était plus calme. Les prix explosent. Le quintal de pommes de terre qui était de 13 francs au début de 1914 est à 28 au début de 1917, sera à 60 à la fin de la guerre. Le kilo de boeuf, qui était à 2,30 francs en 1915 passe à 3,40 en 1917 et 7 à la fin de la guerre.

Les laitiers niçois condamnés

La préfecture et la municipali­té multiplien­t en vain leurs arrêtés pour encadrer le prix des produits de première nécessité. Les fraudes se multiplien­t. En 1916, quarantetr­ois

laitiers niçois ont été condamnés pour avoir coupé leur lait d’eau à 80 %! Au début de l’année 1917, afin d’enrayer le marché noir, plusieurs municipali­tés, dont Nice, décident de vendre elles-mêmes le sucre. Mais les arrivages, en provenance de Marseille, sont insuffisan­ts. Le général Goiran, maire de Nice, tempête dans une lettre du 12 avril 1917 adressée au préfet: «Nous sommes au premier tiers d’avril et la plus grande partie de la population n’a encore reçu que le mois de février et le premier tiers de mars». En juin 1917, les fabricants de pâtes manquent de semoule. Cela n’empêche pas certains d’exporter leur production à prix d’or dans d’autres régions de France.

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