Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Sale campagne

- Par CLAUDE WEILL

« On serait plutôt en droit d’exiger [des candidats] qu’ils sachent faire la part du rêve et redonner aux Français l’envie d’espérer en l’avenir. »

Un climat de guerre civile, sûrement pas. Pas même de « quasi-guerre civile », si les mots ont un sens. Par un tel abus de langage, François Fillon trahit l’inquiétude qui gagne son camp et que résumait, hier, la manchette du Figaro : « Présidenti­elle : état d’alerte à droite ». Les sondages patinent. Il faut mobiliser. Et quand le doute gagne les rangs, il est plus facile de mobiliser contre. Contre le gouverneme­nt, en l’occurrence, accusé de passivité face aux violences. L’épisode, occasion d’une vive passe d’armes entre l’ex et l’actuel Premier ministre, dit en tout cas quelque chose de la réalité de cette campagne. Sale campagne, dure, âpre, où la violence verbale va crescendo .Oùla plupart des candidats consacrent plus de temps et d’énergie à démolir leurs concurrent­s qu’à exposer leurs projets. Où les procès d’intentions, les polémiques et les mises en causes personnell­es occultent les débats de fonds et relèguent à l’arrière-plan les promesses de lendemains qui chantent. Une campagne qui donne, disent les observateu­rs étrangers, une triste image de la démocratie française. On fait ordinairem­ent grief aux politiques, quand viennent les élections, de multiplier les cadeaux et semer les illusions. Cette fois, on serait plutôt en droit d’exiger d’eux qu’ils sachent faire la part du rêve et redonner aux Français l’envie d’espérer en l’avenir. Ça sert aussi à ça, la politique : à inventer des futurs possibles. Bien sûr, nous en avons vu d’autres. C’est toujours brutal, une campagne présidenti­elle. Le pouvoir ne se donne pas. Il faut aller le chercher avec les dents. Encore faut-il, pour que cela ait un sens, que les citoyens se sentent concernés, aspirés, et pas seulement attirés par le spectacle d’une mêlée confuse où les coups bas et les accusation­s tiennent lieu d’arguments. Nous en avons vu d’autres, mais comme celle-là, jamais. Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu un candidat se dire victime d’un coup d’Etat institutio­nnel. Un autre, une autre plutôt, proférer des menaces contre les fonctionna­ires qui prêteraien­t la main à une supposée « persécutio­n » des opposants. Rarement assisté à ces mises en cause répétées de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs ; à ces attaques contre la presse, huée, conspuée dans les réunions publiques, journalist­es pris à parti, patronymes jetés en pâture. Comme si le débat public avait été envahi et contaminé par ce qui peut parfois exister de pire sur les réseaux sociaux, quand la calomnie et la malveillan­ce se donnent libre cours, sous le couvert de l’anonymat. Dans cette campagne détraquée, course par éliminatio­n qui a vu disparaîtr­e un à un les favoris et voler en éclats les paramètres rassurants de la vie politique française, la collision de l’actualité judiciaire et du calendrier politique a créé une situation inédite, imprévisib­le. Explosive. Toute campagne porte aux excès. Celle-ci verse dans l’outrance. Il serait temps de calmer le jeu. La confiance dans les institutio­ns, fondement de la paix civile, est trop précieuse pour qu’on la mette en péril par emportemen­t idéologiqu­e ou calcul électoral.

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